mercredi 16 avril 2014

La violence identitaire en Afrique vingt ans après le génocide rwandais : la faible volonté de conscience des Africains (Première partie)

Avril 1994 des rwandais massacrent à la machette des centaines de milliers d’autres rwandais. Une hécatombe ! Quelques années après, au fusil d’assaut cette fois, des rwandais massacrent à nouveau des centaines de milliers d’autres rwandais. Ça recommence ! Ces deux épisodes, dont en commémore les vingt ans du premier (génocide tutsi), les plus graves manifestations de la violence identitaire en Afrique, totalisant chacune près d’un million de victimes, semblent ne pas avoir assez torturé les consciences endormies des nègres d’Afrique. Autrement, à la place de l’incurie que n’ont pas balayée des crimes d’une telle ampleur, la culpabilité, la stupéfaction et la terreur hanteraient les esprits du simple fait que ces choses sont arrivées près de chez soi. Ni dégoutés, ni effarouchés, ni culpabilisés par le souvenir de tant d’horreur, les Africains, faute de s’interroger sur ce qui a permis qu’on se vautrât sans retenue dans tant de laideur - de sorte que connaissant les cause, on s’attarde à éviter leur conjonction- , n’abandonnent pas leurs mauvais réflexes. En cas de tensions sociales aigües, ils se rangent en faction ethniques ou religieuses, et recommencent à semer la mort à grande échelle parmi leurs concitoyens, quitte à les occire jusqu’au dernier spécimen. L’actualité nous le montre, les passions, toujours en veille, une fois attisées, tel Ajax dans la tragédie de Sophocle, cèdent à l’hubris et son cortège de ravages. Sauf que cette fois, les victimes de cette fureur insensée ne sont pas des bestioles, mais des hommes, nos semblables. 

Or, éprouver de la honte et de la culpabilité, n’est possible que si scrupules et sens des responsabilités sont intacts. Gravement endommagée chez les Africains, la notion de responsabilité se limite à la recherche de coupables, à s’ériger toujours en victimes. Des boucs émissaires tout désignés déchargent de l’impératif d’ausculter ses propres fautes. Dans ce cas, le difficile et sérieux examen de soi, sans quoi les entraves à l’action bonne ne sont pas identifiées, sans cesse repoussé, empêche d’en finir avec l’inefficace retour du même au même, rarement source de progrès. Se sentir responsable, éprouver de la gêne et de la culpabilité, exige une conscience mature et austère, qui est avant tout conscience de soi-même aussi bien au niveau individuel qu’au niveau social le plus complexe. C’est en étant conscient de soi que l’on se rend compte de la condition humaine, chair articulée à la raison devant sans cesse déployer ruse et stratagèmes pour comprendre le monde et survivre à sa condition tragique. C’est grâce à cette conscience, résumée par le connais-toi toi-même de Socrate, que se connaissant mieux, l’homme parvient à une meilleure compréhension de sa condition et de ses semblables et réussit établir des rapports authentiquement humains. Dominique Ngoïe-Ngalla est tout proche qui dit « se connaitre afin de connaitre sa vocation : sujet responsable de soi et de l’univers. »

Toutes les sociétés, à des différents niveaux certes, ont établi les règles durables de leur existence et de leur survie à partir de cette conscience. Certains ont érigé des principes de conduite au jour le jour ; d’autres des sagesses plus élaborées ; d’autres encore la philosophie, dont Kant, à travers les questions que posent ses trois critiques, résume à peu près le but (que puis-je savoir; que dois-je faire, que puis-je espérer). Pour ce qui est de l’Afrique, à observer la considération de l’humain à travers ses grands ensembles culturels, l’idée globale qu’elle se fait du genre humain est belle. Comme ailleurs, l’homme y est vénéré et en principe considéré selon sa grande dignité. Seulement cette place accordée à l’humain n’est pas encore connaissance intime de soi, « acte par lequel commence l’aventure spirituelle de l’homme appelé à devenir ce qu’il est : une personne, être de raison s’accomplissant dans l’ouverture au monde des humains » (Dominique Ngoïe-Ngalla). Une telle connaissance, ne peut en effet s’accommoder du médiocre cloisonnement ethnique, ou de l’artificiel brassage urbain tissé de méfiance et de dangereux préjugés. Interrogation sur soi, sur son agir, sur son être au monde.

Les communautés culturelles et linguistiques présentes sur des aires géographiquement délimitées, qui favorisent une homogénéité à protéger coute que coute des apports extérieurs considérés comme des dangers pour la survie du groupe, n’envisagent pas une quelconque communauté de destin avec les autres communautés nationales. La seule communauté légitime est la communauté immédiate, celle avec nous lie un lien affectif, irrationnel. C’est d’abord à cette dernière qu’on doit attachement et loyauté, de sorte qu’on est d’abord de telle ethnie avant d’être de telle nationalité. Or une telle logique, dans des Etats qui comptent jusqu’à des centaines d’ethnies (on compte à peu près, si l’on considère les sous-groupes, 450 en RDC, une soixantaine au Congo Brazzaville et en Côte d’Ivoire, une vingtaine au Mali, plus de 200 au Nigéria...) est antagoniste de celle de l’Etat. Se blottir dans le nid douillet de l’entre soi à l’abri de la « menace » que l’autre est supposé représenter; privilégier les rapports affectifs que font forcément naître le partage d’un terroir, d’une langue, d’une parenté est en effet primitif. L’Etat, hérité de la colonisation, devrait s’atteler en permanence au brassage au sein d’un même creuset, de populations fortement bigarrées, que parfois de fortes rivalités souvent liées aux dynamiques de créées par la modernité africaine opposent (Traite Négrière, Colonisation, etc.).

Le besoin d’enracinement, besoin important de l’âme humaine parce que chaque être humain «a besoin de recevoir la presque totalité de sa vie morale, intellectuelle, spirituelle, par l’intermédiaire des milieux dont il fait naturellement partie » (Simone Weil), besoin fondamental et légitime, explique sans doute la force de ces attachements au terroir et tout ce qui s’y rapporte, mais « l’enracinement, nuance Ngoïe-Ngalla, est semblable à la mémoire où l’oubli est, dans un cas, vertu dans l’autre, la vertu résidant dans leur adéquation à une nécessité éthique. Dans le cas de la mosaïque que sont la majorité des Etats d’Afrique Noire, l’enracinement aveugle des citoyens dans l’appareil idéologique cloisonné du terroir et de leurs aïeux est faiblesse morale, source d’antivaleurs, comme la xénophobie, le repli et la violence identitaires, constitue un obstacle redoutable à la construction d’un vivre ensemble harmonieux entre étrangers, à la formation de cette grand âme collective qu’on appelle la nation. »


Par conséquent, la résolution de la question identitaire consisterait à trouver le difficile mais possible équilibre entre l’enracinement et le postulat d’unité nationale. En effet, l’existence des ethnies et de communautés en tout genre n’est pas antinomique avec la recherche de cohésion nationale. Ces dernières enfin fois décloisonnées, les préjugés et les peurs qui enferment les uns et les autres derrière les remparts de l’entre-soi surmontés et ramenés à ce qu’ils sont, c’est-à-dire des inepties, pourra s’installer un dialogue entre communautés rassurées de ne pas être écrasées par les autres. D’un tel dialogue naîtra forcément une meilleure connaissance des autres et une véritable intégration de tous à la chose commune. Or un tel niveau d’ouverture et d’intégration n’est possible que par la stricte observance d’un comportement citoyen à tous les niveaux de la cité. Celui qui a le sentiment d’être pleinement investi de ses droits de citoyen en exécute d’autant plus aisément les devoirs, car il se sait copropriétaire et coresponsable d’un grand bien dont l’accroissement dépend de son respect de la règle du jeu : le respect de la communauté du bien ; le respect et la sauvegarde de l’intérêt de tous. 

Cunctator.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.