samedi 23 novembre 2013

La tentation de l'élite Africaine

Au lendemain des indépendances, bien que numériquement faible encore, l’élite intellectuelle porta l’espoir du développement des pays africains, pour beaucoup d’entre eux encore en friche, au moment du retrait du colonisateur. Le savoir, même en Afrique, est tenu pour le moyen le plus sûr de la réussite sociale, et de l’épanouissement de l’homme.
Le volume de cette élite augmenta régulièrement. En revanche, restée de cueillette pour l’essentiel, l’économie de l’Afrique indépendante allait de mal en pis, d’année en année. L’élite intellectuelle fut la première victime d’une récession économique que ne pouvait juguler la politique du ventre dans laquelle s’était engouffrée une classe politique formée de bric et de broc; du bricolage tout simplement. Hors, la sphère politique et du pouvoir, le niveau de rémunération restait faible, et le pouvoir d’achat. Dans ces conditions, difficile, impossible même pour l’élite qui avait tant rêvé, de tenir son rang. L’élite intellectuelle, c’est-à-dire l’ensemble des cadres supérieurs, pour la majorité d’entre eux, formés dans les meilleures universités d’Europe et d’Occident et bardés de diplômes universitaires: médecins, enseignants du supérieur, ingénieurs, pharmaciens, techniciens supérieurs. Tout ce beau monde à la portion congrue, essuyant souvent, les rebuffades de cette catégorie de leurs concitoyens, au cursus scolaire, pour nombre d’entre eux, plus que modeste, et qui n’était monté si haut dans l’échelle sociale qu’à force de rhétorique creuse et révolutionnaire, dans les pays de régime marxiste, ou, plus généralement, à force de rouerie. 
La classe politique qui toise l’élite intellectuelle, se recrute parmi les descendants des évolués de la période coloniale de l’histoire du pays dont la mobilisation fut décisive dans le processus sociopolitique qui conduisit à l’indépendance. Dans les pays qui en firent l’expérience, la révolution et le parti unique, de leur côté, fournirent, eux aussi, leur contingent à la classe politique. Or, on n’entre pas en politique comme on entre en religion. On entre en religion pour s’oublier soi-même, parce que, ici, l’accomplissement de soi s’opère dans l’oubli de soi. L’oubli de soi et la recherche de l’amour du prochain et de Dieu. Sauf cas exceptionnel, on entre en politique poussé par la soif du prestige et des avantages économiques et sociaux qui y sont associés. Le tout, bien sûr, couvert du drapeau de la générosité et du dévouement à l’intérêt général, alors que ne cessent de se creuser les inégalités sociales, alors que ne cessent de se restreindre les libertés.
Venus du milieu des évolués ou des camarades, même appartenant à des courants politiques et à des camps politiques opposés, ceux qui forment la classe politique constituent une catégorie de citoyens à part, aux habitudes et aux mœurs semblables, en dépit de la différence de leur coloration politique. Riche sans avoir jamais travaillé, égoïsme féroce, esclaves de leurs biens, retirés des masses que, portant, tous les jours, ils endoctrinent, obsédés par la jouissance de leurs intérêts, un cœur de pierre et donc étrangers à toute compassion pour leurs semblables. Brutalement jetée dans le climat délétère d’inversion des valeurs, caractéristique de l’Afrique post-coloniale, l’élite intellectuelle prolétarisée résiste peu à la tentation de rejoindre la meute; oubliant qu’elle est la conscience de la nation et son institutrice. Elite intellectuelle démissionnaire. Elle a frappé aux portes du pouvoir et y a été reçue. Mais comme ces autres dont elle dénonce les pratiques. Ce sera pour arrondir ses intérêts, au détriment de la communauté et du bien général, à la croissance duquel la classe politique africaine est encore loin de consentir à travailler.

jeudi 14 novembre 2013

Le Nègre Debout

Je suis Nègre-Noir debout
Au milieu des orages.
Je suis habillé de nuit
Et ma cuirasse est taillée
Dans l'écaille du tonnerre.
Je suis l'arbre dressé
Au milieu du chemin
Où la solitude dresse sa crinière hautaine.
Satchmo couvrant de son thrène sourd
Le rire cruel des Blancs vous l'a dit:
Je suis Nègre-Noir debout
Sur le rut et la tristesse de l'histoire.
Retournez-vous, Nations
Et voyez toutes ces stèles
Battues d'orages qui jalonnent 
Ma marche ténébreuse.

Je suis Nègre-Noir debout
Depuis l'aube des siècles
Au milieu des rouges grondements de l'histoire.
Ô Nègre, entendras-tu jamais
Une voix qui ne soit menterie!
Ô homme Noir dispersé entendras-tu un jour
Le cri de ralliement
Et frisson au coeur de l'aimée?
Nègres mal-aimés du vaste monde
Qui allumera pour vous le message?
Je suis las des pélèrinages où se fabrique
L'outrage avec le mensonge.
Paix sur le Caucase et l'Oural.
Paix sur les Rocheuses, refuge des tempêtes
Et qu'enfin ami des hommes dorme
Le Nègre maître du langage
Comme autrefois sur la peau de panthère.

Dominique, Ngoïe-Ngalla, Chants d'ancrage.

lundi 11 novembre 2013

Le manque de courage, défaut des petits hommes d’Etat.


 Le compromis permanent avec des déviances universellement reconnues comme telles, le compromis avec des tendances, des attitudes contradictoires avec la dignité de l’humain, s’il est la marque d’un relativisme béat ou d’un cynisme effrayant, est encore la preuve d’un inquiétant manque de courage, car, pour son confort, on refuse de choisir, de trancher, de dénoncer, de s’indigner. Comme les collabos d’hier on refuse l’affrontement, on refuse la résistance. Malheureux ceux qui optent pour une telle voie par souci de préserver toujours les bons rôles. Le ni-ni n’est pas une posture, c’est une mort à petit feu, car il conduit toujours aux égouts de l’histoire.

 Aucun mépris pour ce siècle ne m’anime, aucune haine d’être de ce temps, même si par moments on en a honte. Etant de ce siècle sans possibilité de m’exiler dans un autre, quand bien même, si mon tempérament me le permettait, je pourrais décider de ne pas tendre l’oreille aux cris, aux grognements, aux pleurs et à toutes les plaintes, les colères, les douleurs et les frustrations qu’ils charrient, je suis obligé d’en affronter le tragique. Et ma conscience ! A elle on n’échappe pas. Comme l’œil dans le poème de Victor Hugo, elle nous suit jusqu’à notre ultime retraite et jamais ne cesse de nous interroger. De son temps, il ne suffit pas d’avoir honte, il faut oser le regarder avec lucidité, ce courage de la vérité, et se jeter dans l’arène, se battre, lutter contre l’infâme et l’écraser comme le demandait Voltaire ; lutter contre l’arbitraire, la haine de l’autre, l’égoïsme et tous ces maux qui nous minent. Seulement mener un tel combat exige un courage auquel notre époque ne nous a pas préparés. Dispensés de réfléchir par tant et tant de sollicitations niaises, nous sommes plutôt préparés à subir. Or qui subit ne décide de rien, même pas de son avenir.

La tâche de conduire les nations et de réfléchir aux fondements de leur cohésion, aux conditions de leur progrès et de leur aisance, comme nous le montre l’histoire des sociétés, a de tout temps été confiée à un « petit bataillon de grandes âmes vouées à une noble cause », l’élite. Il est dès lors normal que ce soit à elle qu’on s’adresse lorsque les choses sont difficiles. Elevés dans le culte de la grandeur et de la noblesse les grands hommes d’Etats, avec éclat ou de façon terne, n’ont jamais manqué à l’appel quand le destin de leur nation traversait une passe effroyable. Plus forts que leur temps en inversant, que ce soit avec le sabre ou la pensée, l’ordre des choses, ils ont ouvert de nouvelles voies et irrigué d’espoir des consciences tourmentées et accablées de doute. Mais c’était là des hommes d’autrefois, des hommes du temps où ne pas être vertueux à 18 ans, lorsqu’on était de cette race, c’était avoir raté sa vie. Ce qui est inquiétant aujourd’hui c’est que notre temps a remisé de tels idéaux dans les placards de l’histoire. D’autres rêves, mais plus prosaïques ceux-là ont, depuis remplacé l’idéal de vertu. Ils se nomment réussite, célébrité, richesse. Des choses communes qui échoient à tous sans considération de de la valeur, de la grandeur et de l’amour inconditionnel de son pays. En voulant être une élite qui n’a de grand que le prestige des positions et des rôles; cette dernière a échangé les idéaux qui la distinguaient pour les remplacer par celui de star, et de ce fait a perdu le sens du tragique. Une élite qui troque les attributs de son principat contre ceux de la piétaille n’est pas capable de hisser cette dernière vers le haut ; de montrer le cap et surtout de le maintenir contre vents et marrées. A force de baigner dans la banalité, les choses, importantes comme insignifiantes, acquièrent toutes la même valeur.

Que sont les grands hommes devenus ? S’interrogeait Jacques Julliard, et avec lui beaucoup d’autres. Ces hommes, dont la grandeur éclatait aux moments les plus sombres, faisant front contre les menaces les plus terribles, ont migré depuis bien des saisons maintenant, et avec eux le courage, la foi, l’amour, la justice, la compassion. Aujourd’hui, la mesquinerie et la banalité ne règnent pas que dans la foule. Mais ce dont on souffre le plus de cette disparition, c’est la fin du courage. Courage d’autant plus nécessaire que l’incertitude, et les menaces de tout ordre menacent nos sociétés. C’est en effet, écrivait Descartes, « dans les affaires les plus dangereuses et les plus désespérées qu’on emploie le plus de hardiesse et de courage ». Du courage il en faut pour proposer des solutions viables et originales pour avancer dans ce monde tumultueux ; du courage il en faut pour affirmer sa singularité et apporter des solutions qui tiennent compte des particularités locales ; du courage il en faut pour expliquer clairement l’état du pays et exiger des efforts justifiés. Or, les politiques, particulièrement ceux-là tributaires du suffrage universel, ayant en permanence le souci de s’assurer un autre mandat lorsqu’ils sont chefs de l’exécutif, ne se préoccupent plus tant de régler les affaires selon les nécessités de l’heure, que de plaire à l’opinion et de donner vie à ses fantasmes. Par ailleurs obéissants à des intérêts incompatibles avec l’intérêt général, ils orientent leur politique selon les exigences de ces derniers qui essuient leur souillure sur les habits de la République. Ainsi, par la faute de politiques de petit calibre, des nations entières sont menées non pas par la vision que partage le chef et ses administrés, mais plutôt par la double dictature des intérêts des puissants et de celle de l’opinion au sein de laquelle les plus populistes d’entre eux font leurs emplettes.

On l’a vu en France, un brillant politique, Président de la République de surcroit, en principe défenseur des valeurs humanistes françaises, céder au grand désarroi des bien-pensants et des idéalistes, à une rhétorique de cloaque et d’égouts. Il s’est plu à manipuler des puanteurs dont même les déchets de l’histoire ne voudraient pour un sou. Pourquoi ? Les partisans de la haine de l’autre et la mésentente nationale gagnaient du terrain dans ce pays. Il fallait les arrêter comme Charles Martel arrêta les Maures. Charles Martel avait évité à son pays un véritable péril, pas ce Monsieur, car ces autres dont il faut se méfier, qui menacent-ils en France, sinon les imbéciles et les racistes ? Peu courageux comme attitude ! Vraiment déplorable ! Si je ne m’abuse, les Français, qui, je l’espère, ne sont pas tous racistes, lui ont reproché cette regrettable manœuvre. Mauvais général ! Porteur d’une parole quasi sacrée, sa démarche a séduit et, au lieu de récolter les résultats escomptés, a contribué à ériger un parti douteux et effrayant de par son idéologie à des niveaux plus que satisfaisants, de sorte que le racisme et le rejet de tous ceux dont l’altérité brille sur le front sont désormais chose commune dans ce pays à tel point qu’une ministre de la République en a récemment fait les frais.

Ce qu’il faut, et c’est valable pour l’opposition également, ce sont des hommes politiques auxquels déplaire ne fait pas peur, des hommes politiques nourris au lait de la vertu telle qu’on en la fait plus aujourd’hui. Comme le rappelle si bien Cynthia Fleury, « il n’y a pas de courage politique sans courage moral, la fin de la négociation avec l’inacceptable et le désarroi qu’il engendre s’appuient nécessairement sur la reconquête de fondamentaux personnels et collectifs. »

Philippe Cunctator

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.