lundi 8 avril 2013

L'amour au coeur du projet Politique

« Dans tout ce que l’homme entreprend, rien jamais ne se fait, ni sans doute ne se fera de beau et de grand sans amour »

Ferdinand Mbaou.



Bien que galvaudé, avili, diminué et mal entendu, les différentes acceptions de l’amour se joignent pour désigner une sorte de grandeur et de noblesse qui diminuent chez celui qui en est imprégné l’impétueux besoin d’être, cette violente inclination à affirmer son moi. L’affirmation de ce moi dans sa plus grande expression est un égoïsme exécrable, que, à moins d’être d’un cynisme éhonté, tout le monde, même les parangons de cette boursoufflure du moi, s’accorde à condamner, même si le plus souvent ce n’est que du bout des lèvres.

On reconnaitra avec toutes les traditions religieuses ou philosophiques qui le mettent au cœur de leur enseignement ou qui lui accordent une place importante pour la progression de l’humain, que l’amour se veut détachement ; il exige de lâcher prise. Mais lâcher prise sur quoi ? Nos passions, notre volonté de puissance, notre volonté de pouvoir, notre inextinguible soif de posséder. Même du côté de l’attachement conjugal, aimer est difficile pour des amants qui ne savent pas se délester d’un peu d’eux-mêmes pour se laisser combler par l’autre. Ce qui est en principe don, élan vers l’autre dans la bienveillance et la douceur est réduit à la satisfaction de l’égo. Un tel amour de concupiscence ne grandit pas, car après la satisfaction vient la saturation, d’où les frustrations et les insatisfactions.

Au-delà de la nécessaire diminution de soi qu’il exige, l’amour est une ouverture d’amitié et de compassion sur l’autre et aussi tous les autres avec qui l’expérience humaine est partagée et qu’il n’est pas à priori légitime d’aimer. C’est ainsi que l’amour, comme chez les chrétiens est amour du prochain. Pour cela, il est une vertu sociale. Et c’est en tant que vertu sociale qu’il a son importance dans la pratique de la politique. L’exercice du pouvoir politique étant l’art d’organiser les rapports sociaux, fondé sur l’amour, gagnerait en efficacité. Il favorise, en effet, les rapports harmonieux et équilibrés dans lesquels chacun est dévoué au bien de l’autre. Pourtant objectera-t’en, et c’est légitime, que faire de l’amour le fondement d’un projet politique, dans un monde où les intérêts sont si intriqués et les choses toujours plus complexes, confine à une naïveté impropre à qui veut gouverner. Car gouverner c’est diriger en tenant comptes les données immédiates pour les infléchir dans le sens de nos intérêts politiques. C’est donc être très réaliste Or, qu’y a-t-il de plus vrai que l’amour de sa patrie?

En envisageant les bénéfices qu’il y a au bout du rouleau de cette pelote de bienveillance et de compassion, dont le mot dans lequel il est figé seul fait frémir les brutes et les sans cœur, il n’est ni fou ni naïf, mais plutôt courageux, surtout lorsque le quant à soi et l’égoïsme mènent le monde, d’oser l’amour dans la politique, activité pourtant noble, mais si pourrie qu’elle ne confine plus qu’à une abjecte mesquinerie et à une désolante pusillanimité, aimer son pays et les siens n’enlèvera rien aux aptitudes nécessaires à l’action politique, mais elle les sublimera, car une action orientée vers un bien beaucoup plus grand que soit-même ne peut qu’être noble.

En principe, lorsqu’elle n’est pas avilie par l’action de dirigeants mesquins trop habités de l’amour d’eux-mêmes, la politique tend à la félicité humaine. Tendre à un idéal si grand suppose qu’on aime plus que suffisamment sa patrie pour nourrir les plus hautes ambitions à son égard. « S’agissant de la construction d’un pays désiré toujours plus beau et plus riche par ses ressortissants, pour qu’il devienne effectivement tel, ceux-ci doivent l’aimer d’amour. Les Romains qui l’avaient compris plaçaient l’amour en tête des valeurs à inculquer au citoyen, dès le plus jeune âge. Ils disaient nous devons placer l’amour de la patrie au-dessus de l’amour dont nous nous aimons nous-mêmes » (Ferdinand Mbaou). C’est ce amour qui plus tard devint la vertu politique de Montesquieu reprise par Robespierre. «La vertu politique, dit Montesquieu, est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très pénible. On peut définir cette vertu, l'amour des lois et de la patrie. Cet amour, demandant une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre donne toutes les vertus particulières : elles ne sont que cette préférence. (…) C'est la vertu ; je parle de la vertu publique, qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et dans Rome, et qui doit en produire de bien plus étonnant dans la France républi­caine; de cette vertu qui n'est autre chose que l'amour de la pa­trie et de ses lois. »

Facile tant qu’il ne s’agit que d’affirmer des principes avec la mauvaise foi des pharisiens, la pratique de l’amour est d’une difficulté presqu’insurmontable si on n’est pas armé de la volonté si grande de ceux-là en qui la postérité reconnait des héros. Une volonté que ne donne que la conscience du devoir, pour qui n’entend pas naturellement les commandements de l’amour. Hélas ! il s’agit de nous tous. Comme les autres vertus, celle qui nous concerne dans ce propos ne s’acquiert pas sans d’importants efforts, sans les renoncements que les faibles et les tièdes trouvent à priori difficiles.

L’amour est cette disposition par laquelle d’aucuns fournissent le meilleur d’eux-mêmes, jamais pour eux-mêmes, mais toujours pour les autres (optimi ad alios). C’est en cela que réside sa difficulté, car la bonté, la justice et l’attention au bien-être des autres, lorsqu’elles ne sont pas innées où lorsqu’elles n’ont pas été reçues très tôt, pour s’acquérir, requièrent un pénible apprentissage pendant lequel il faut gravir, non sans redescendre, une pente raide et escarpée. C’est de cette façon, rude certes, que s’obtient la plus douce et la plus belle des vertus. Animés d’amour, l’égoïsme, la violence et de l’injustice qui nous embarrassaient, perdent leur empire sur nous. Une organisation politique et administrative menée par des hommes mus par cette soif de bien en eux et autour d’eux aura le souci de l’homme, qui pourra plus aisément qu’ailleurs déployer toute la grandeur que son fond recèle.

En effet dans une organisation au sein de laquelle règne l’égalité, les talents, et non les privilèges, sont les moyens de la promotion sociale ; la séparation des pouvoirs rejette au loin l’autoritarisme, marre dans laquelle barbotent, telles des larves de quelque bête malfaisante, les vices qui n’ont à craindre ni personne, ni la loi, ni une autorité supérieure. La liberté y est admise, elle favorise la possession, la création et le fleurissement des arts, des lettres et de la pensée. Les esprits supérieurs peuvent dans un tel climat répandre, sans être inquiétés, leurs idées subversives et progressistes. Un prince élevé dans les principes de l’amour, quelle que soit l’école qui les lui a enseignés, gouvernera presque naturellement dans le sens du bien public, les penchants mesquins qui font les tyrans lui seront inconnus. L’a crainte du mauvais coup, la jalousie, l’ambition, l’avarice et toute autre méchanceté qu’on on observe chez les courtisans et les mauvais princes qui s’illustrent par la confusion des ressources publiques avec leur cassette personnelle, se gavent de mets et de boissons raffinés, se bâtissent des demeures splendides, s’acoquinent volontiers avec les voleurs du peuple auxquels ils font de somptueux cadeaux, sembleront des fables à son esprit tant elles lui seront inouïes. Un prince aimant sera une étoile éclairant et indiquant le chemin que la voute sombre, royaume des grands méprisant toute élévation qui contribuent à la corruption des âmes, avait enveloppé de sa nuit opaque.

Osons donc l’amour bien de grande valeur grâce auquel on est rangé parmi les meilleurs des hommes, et grâce auquel on est utile aux hommes. Libérons nous de l’esclavage des monstres hideux que sont l’avarice, les petites ambitions, la suffisance, l’égoïsme, qui dissimulées derrières leurs beaux atours entravent le chemin vers les attributs honorables de la dignité humaine chère à Pic de la Mirandole, Lefèvre d’Etaples et à tous ceux à travers les différentes civilisations qui reconnaissent que la dignité propre à l’humain recommande une attitude particulière à son égard, tel le kimuntu des Bantus.


Cunctator




Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.