mardi 26 mars 2013

Démocratie et progrès à l'épreuve de l'ultralibéralisme.

La démocratie est à ce jour, dans ses principes du moins, le régime qui favorise le mieux l’éclosion de l’homme dans toute sa splendeur, mais l’application effective de ses principes n’a rien d’aisé, car elle est un régime des hauteurs. La vivre véritablement suppose de débarrasser l’homme de sa pesanteur, de réduire sa charge d’égoïsme et de mesquinerie, car ce régime exige, pour briller de tous ses feux, des hommes magnanimes. C’est pourquoi elle doit demeurer une quête permanente. Le moindre relâchement, la plus petite négligence quant à ce vaisseau en route vers la félicité, dont la barre et les instruments de navigation doivent être surveillés en permanence mènent à des dérives et des régressions dangereuses auxquelles les gredins n’hésiteraient pas à exposer ceux qu’ils ont la charge de conduire (la démocratie n’est pas pour eux). Vigilance, donc ! Tel est le mot d’ordre. En tous instants, en toute circonstance. Au niveau des individus, il s’agit de vigilance envers soi-même, envers son engagement citoyen d’abord, puis vigilance envers le fonctionnement des institutions. vigilance quant à la force de la loi, sans laquelle les institutions n’ont de sublime que la beauté des murs qui les abritent. Leurs frontons, leurs colonnes, leurs frises, leurs statues, ne cessent pourtant de nous rappeler la grandeur et la noblesse des premiers qui en instituèrent les principes et de ceux qui les portèrent jusqu’à nous.

L’aventure démocratique occidentale, hormis son aïeule grecque dont le terreau était une certaine idée de l’homme, mesure de toute chose et par essence libre, n’était pas le fait d’une constitution particulière de l’homme d’Occident, mais elle était fille de l’audace et de l’insoumission, seules capables d’inventer d’autres possibles. Soutenue par une pensée juchée sur une conception élevée de l’homme et par conséquent des rapports sociaux et des institutions qui les régissent, au secours desquels s’étaient plus tard portées des actions militaires ou des soulèvements populaires, la démocratie finit par s’imposer en Occident et être portée en triomphe, dressée sur un char dont l’attelage était fait de la loi, de l’égalité, de la liberté, de la séparation des pouvoirs, du pluralisme, du respect de la dignité humaine. Enracinés, tels de vieux chênes, dans l’esprit et les institutions occidentaux, ayant eu le dessus sur leurs adversaires idéologiques d’hier, les principes de la démocratie, renforcés par leur victoires historiques, furent propagés avec un succès relatif au-delà de leurs limites traditionnelles. Ils furent reconnus et acceptés par des peuples qui, quoique les vivant peu du fait de barrières plus politiques que culturelles comme on veut souvent le faire croire, y aspiraient néanmoins fébrilement.

Aussi, même acceptés, dans ces contrées peu habituées à cette façon d’organiser la vie politique, comme la parole de l’Evangile tombant sur un sol rocailleux, ces principes ne purent-ils germer partout où ils furent semés. Elle ne germa pas faute d’y croire, mais elle n’advint pas par défaut de batailles. Aux hommes vaillants les grandes choses, aux sociétés lutteuses le progrès. La démocratie, la vraie, la révolutionnaire, nous dit l’histoire, ne s’instaure que par la lutte. Son avènement menace les pouvoirs, les privilèges, les rentes, les aristocraties, elle fait place à la véritable noblesse celle du partage, de la justice, de l’égalité et de la liberté.

Cependant, nous l’avons dit, le progrès est fils de luttes, de dépassements, de privations toujours plus grands pour donner cours à des meilleurs lendemains. C’est pourquoi les plus grands progrès politiques et sociaux sont souvent précédés de périodes plus ou moins longues de souffrance, d’étouffement, de frustrations, de honte. Lorsqu’ils surgissent enfin, ils sont accueillis avec liesse et souvent ébahissement car ils libèrent. Or depuis la Libération, la fin de la Deuxième Guerre Mondiale, l’Occident libéré n’a plus eu à connaitre les hésitations de l’histoire, atermoyant entre évolutions et régressions. Habitué à une paix merveilleusement longue comparée aux détonations que ne manquait pas connaitre toute génération ou presque, et à un progrès technologique époustouflant auquel les masses accèdent sans encombre, l’Occident (et le reste du monde crée à son image) vautré dans son confort a oublié le tragique de l’existence. En même temps qu’on y crée le progrès tel qu’entendu dans la société ultra libérale, on s’y amuse à un point qui confirme que l’homme, qui y était jadis volonté de conscience y a perdu la tête ; on le croirait devenu volonté d’insouciance. Les préoccupations qui le plongeaient dans de graves méditations sur sa condition et son devenir on été balayées par un excès d’assurance qui l’a plongé dans une profonde inconséquence. La facilité inouïe de son existence aussi banale qu’insipide en a fait un être désincarné, malléable et dangereusement servile. C’est preuve que ce progrès-là est malsain. Contrairement au progrès d’antan qui se voulait collectif, affectait la société dans sa globalité et révélait à l’homme sa dignité, celui-ci il est plutôt abrutissant. Il produit des imbéciles savants complètement détournés des questions non seulement personnelles nées de la volonté de savoir et de comprendre, caractéristique de l’homme, mais aussi des préoccupations collectives, les seules capables, parce qu’elles révèlent les véritables conditions de l’épanouissement des êtres sociaux, de hisser l’homme social au-dessus de la médiocrité.

Sous l’impulsion de ce progrès déshumanisant, qui stimule chez l’homme le désir de s’encombrer matériellement, le gave de nourritures bourratives sans réel apport, et favorise un quant à soi si loin de l’individualisme des Lumières (oser penser par soi-même, se libérer des vérités imposées, développer l’esprit critique…), les capacités revendicatrices dont l’écho est amplifié lorsqu’elles sont portées par des mouvements collectifs se sont vu rétrécir comme une peau de chagrin. Il n’y a qu’à voir, sous le règne de l’ultra-libéralisme, il faut le nommer, tout ce qui caractérisait un engagement pour la défense d’intérêts collectifs rétrécit de façon effrayante : adieu syndicats, adieu militantisme ! Effrayé, leurré et surtout occupé par cette société chronophage où faute de temps à soi, on rechigne à en donner pour la collectivité, le peuple s’est vu remplacé par des défenseurs qui roulent bien peu pour lui : les technocrates et les experts.

Les libertés individuelles chèrement acquises, dont, à vrai dire, la conscience chez les individus d’aujourd’hui se limite à la possibilité d’aller et venir et d’étendre chaque jours un peu plus l’emprise de la bêtise, sont menacées sous les yeux de ceux-là mêmes à qui elle confère des privilèges. Les libertés publiques maintenues avec une habileté d’artiste ne sont plus qu’un épouvantail, en tout cas tant qu’elles ne serviront pas les buts pour lesquels elles ont été instituées, elles demeureront des armes inefficaces. Tout le monde a ce mot à la bouche : démocratie, mais semble oublier que ce régime implique des citoyens responsables et impliqués dans le devenir de leur société. Il implique également qu’on fasse attention à la conduite des affaires. Confier les rênes à des instances aux mandats importants et peu comptables des choix qu’elles imposent, qui ont réduit le peuple à un rôle de téléspectateur qui donne son avis lors de consultation graves avec la légèreté et la désinvolture qui convient à une élection de miss, est sans conteste une régression démocratique que rien ne justifie.

Pourtant, malgré sa tendance moutonnière, ce n’est pas vraiment au peuple qu’il faut en vouloir. Brouillé par le discours des politiques de gauche et de droite qui, défendant moins ses intérêts que ceux des puissants, appliquent à quelques nuances près les mêmes politiques, le peuple d’Occident, jusque-là jouant ce jeu du ni-ni, montre des signes de lassitude et peu à peu sourit aux thèses populistes.

Cunctator.

jeudi 14 mars 2013

Juifs et Nègres: destins parallèles, similitudes et différences

Scientifiques et technologiques, culturelles et artistiques, les conquêtes de l’homme dans l’odyssée de l’Histoire ne sauraient, cependant, consoler l’esprit qui pense, du sort effroyable fait, dans le même temps, aux Juifs et aux Nègres discriminés pour non-conformité au modèle universel de l’humanité défini de façon arbitraire par une partie de l’humanité, les Européens.

Cupide et comploteur, le Juif est tout simplement «invivable». Sa place est aux marges de la société blanche bon teint où il est tenu à l’œil, sous surveillance permanente. A quoi le reconnaît-on? A son nez crochu de rapace.

Au ban de l’humanité aussi le Nègre; mais pour des raisons différentes, tout autres: son physique répugnant, le reflet de vices monstrueux. La droite humanité en vient alors à douter de son statut d’humain. Voilà pourquoi l’Occident chrétien, tout au long de l’histoire, peut lui infliger, la conscience tranquille, ce traitement dont on épargne les bêtes elles-mêmes les plus féroces.

Juifs et Nègres seront, en effet, à travers l’histoire, dans les formules les plus diverses, sujets de maltraitance de la part du reste de l’humanité. Des commencements de leur histoire à la création de l’Etat moderne d’Israël, les descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob connurent les pires choses qui puissent arriver à un humain: l’esclavage, la déportation, les pogroms et la shoah, le projet sinistre de leur extermination. Les tuer tous, jusqu’au dernier, de façon à effacer leur mémoire même de la terre des vivants! On reste effrayé par tant de barbarie.

Le destin des Nègres est à peine différent de celui des Juifs. Esclavage, déportation, même dans leur propre pays, en sécurité nulle part, toujours errant, comme les Juifs. En paix avec le Blanc juste le temps de dissiper le chagrin de celui-ci; car le Blanc est sujet à la tristesse et au chagrin que le Nègre chasse ou dompte par la trompète de son rire et par ses facéties. Le Nègre est, pour le Blanc qui le méprise, juste un instrument à sa disposition; il ne peut l’aimer. Et lorsque cela arrive, il faut le ranger au registre du mystère. Cette identité existentielle des Juifs et des Nègres exilés loin des autres «humanités» n’inspira, cependant, pas aux deux damnés, des logiques identiques pour s’en sortir.

Cette différence des logiques et des stratégies allait donner des résultats contrastés que du reste, les différences de départ du contexte sociologique de production de ces logiques laissaient pressentir. L’historien peut alors, après coup, dire pourquoi, alors que tout au long, elles furent toutes deux un drame continué, l’aventure des Juifs se termine plutôt bien, en tout cas pas plus mal que cela, alors que celle des Nègres se termine par un naufrage. C’est que, dès le départ, les Juifs formèrent un groupe que le lien biologique et de sang entre ses membres soude autour des mêmes normes et des mêmes valeurs en quelque chose de si fort que le temps qui passe l’entame à peine. La communauté juive se forge au contraire au fil du temps et de l’affrontement avec soi et l’extérieur ce caractère trempé et bien affirmé qu’on sait du Juif. Et cela fait que, mal aimés, haïs, mais sourds à l’invective, les Juifs se dressent face au destin et avec une male obstination, frappent aux portes du futur. Pour le juif, les horizons du futur ne sont jamais bouchés que pour un temps; le temps de l’épreuve inspiratrice de stratégies et de ruses nouvelles pour la contourner ou la surmonter.

C’est presque la marche des Juifs à travers l’Histoire qui s’inscrit dans la dialectique mouvementée entre le passé, le présent et les incertitudes et les possibles du futur. Jamais au repos, toujours en route, le Juif inquiète. Une victoire sur lui n’est jamais que provisoire.

Le Juif refuse la défaite. Il se sait mal aimé. Mais, il ne baisse jamais les bras et, volontiers, ferait sienne cette maxime latine: «Oderintdum me metuant» (Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent!».

En face du Juif marchant toujours la tête haute, le Nègre résigné. Prométhée et Sisyphe ne sont pas de sa race. Fataliste, il s’avance vers des horizons bouchés pour de bon. Voilà pourquoi il cultive des sagesses terre-à-terre, juste pour la résolution des problèmes de la quotidienneté.

Qu’est-ce donc qui fit des descendants d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, au commencement, banale, bande (au sens sociologique et ethnologique), de chevriers, les fondateurs surprenant de cet étonnant Etat d’Israël? Pour les croyants, Dieu écrivit de bout en bout l’histoire d’Israël, ayant fait des descendants d’Abraham, son peuple élu. L’historien, lui, place à l’origine de l’épopée juive, le sens de la profondeur de son histoire et la conscience aiguë que la communauté en eut. Cette posture morale et psychologique collective fut le vecteur spirituel de la merveilleuse aventure de ce peuple étonnant.

Dans cette perspective, on peut se demander comment, sans la conscience vivante d’un passé commun qui ne fut jamais, immense continent aux mille nations depuis fragmentées en un grand nombre d’Etats faits de mille composantes ethniques opposées par des configurations culturelles particulières, l’Afrique peut former des Etats où, grâce à la socialisation par tous des mêmes valeurs, deviennent possibles à tant de particularismes, un vivre-ensemble et la projection vers un futur commun vivable?

L’éducation à l’esprit citoyen, vertu cardinale dans la construction de la nation, parce qu’elle rend possible l’adhésion réfléchie aux mêmes valeurs dans une même culture publique, peut-elle suffire, jouant alors chez tous les membres de la communauté, le rôle d’une conscience historique unitaire que, justement, dans le cas de l’Afrique divisée au plan géographique culturel et historique, l’histoire avait rendue impossible?

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.