Au soir de
sa vie, le plus grand regret de Mandela est sans doute de constater que la
lutte que ses compagnons et lui ont mené âprement pour la liberté,
quoiqu’ayant, au prix de lourdes pertes et d’importants sacrifices, terrassé le
régime terrible de l’Apartheid, n’a pas inspiré les Africains pour la
construction de sociétés plus justes. Partout ou presque, doit s’offusquer le
vieux lion, les inégalités, la pauvreté toujours plus grande, la régression. Lui
que son grand amour pour son pays et son souci de son peuple avaient
conduit à s’engager dans un combat politique au cours duquel il a affronté des
périls effrayants, a pris des risques fous, a déployé un talent exceptionnel
que favorisait sa fulgurante intelligence des situations et cet acharnement
qui transforme en excellence même la médiocrité, s’en ira triste de savoir que
personne n’a repris le flambeau. Mandela sur la fin est bien la preuve que le
courage et l’abnégation sont possibles lorsqu’on aime sa patrie avec piété et
ferveur ; lorsque qu’on a conscience que la dignité intrinsèque de chaque
homme est la condition nécessaire de toute vie sociale. Ainsi armé tout
responsable politique, à l’exemple de Madiba, est capable de vaincre les
penchants égoïstes qui font les petits chefs, de comprendre que le but de la
politique n’est pas l’intrigue féroce pour des positions personnelles ou
groupales, mais de défendre toujours les intérêts de ceux qu’on représente.
Malheureusement la geste héroïque
de ce Monsieur n’a pas eu d’imitateurs. Est-ce l’exemple qui est difficile à
suivre, ou est-ce plutôt la génération post Mandela qui est faite d’hommes si
petits, si mesquins et si lourds qu’ils n’arrivent pas à se hisser sur les
épaules du géant de Mvezo ?
Vingt ans après sa sortie de
prison, existent en Afrique des peuples dans de terribles fers. Et ce non pas
du fait d’un terrible oppresseur venu de très loin, dont la cupidité fait
commettre des forfaits dignes de crapules comme au temps des colonies, mais les
crapules, les élites africaines, cette fois sont encore plus barbares.
Les châtiments infligés aux Nègres ne sont certes pas similaires, mais la
symbolique elle l’est. A chaque époque ses atrocités. Faire croupir ses
compatriotes dans une misère ineffable, enfermer leur esprit dans les choses viles
sans jamais leur donner la possibilité à leur esprit de s’épanouir(de peur
peut-être qu’ils aient de meilleurs moyens de contester leur autorité
illégitime pour la plupart d’entre eux), leur refuser l’accès au progrès quand
toutes les conditions sont remplies, les déshumaniser est non seulement le
propre d’une élite sans amour, mais aussi d’une élite sans courage. Manque en
effet de courage moral et politique qui ne veut pas s’inscrire dans les
procédés de l’action bonne parce qu’elle exige beaucoup. Alors comme des
larves, on s’abandonne dans sa misère morale. Une élite qui a en mémoire les
atrocités coloniales telles que les crimes de Léopold, les travaux forcés,
l’inceste imposé par les armes et d’autres humiliations peut-elle régresser au
point de priver à ses semblables leurs droits fondamentaux ?Une élite qui
a dénoncé l’Apartheid et qui n’a pas hésité à lutter contre ce régime par le
soutien apporté à ses opposants ne pouvait se comporter tel qu’on la voit faire
aujourd’hui, oublieuse de sa tâche colossale, écrasant le peuple avec une
facilité déconcertante.
Mandela avait foi en l’Afrique. A
la différence de la génération qui le suit, il rêvait de Noirs et d’une Afrique
mieux éduquée, d’une Afrique plus moderne que ne minerait plus les tensions ethniques,
d’une Afrique plus sensible à la condition de l’homme, et d’une Afrique plus
digne tout simplement. Tel était son programme. Malheureusement, arrivé aux
affaires broyé par une longue et pénible détention, âgé et pressé de passer le
relais à d’autres, Mandela n’a pas eu le temps de réaliser son rêve.Que laisse-t-il
en place de tout cela ? Une Afrique plus pauvre malgré l’accroissement des
ressources dans nombre de ses pays, une Afrique où règne en bien d’endroits
l’analphabétisme, l’esclavage infantile, une humanité dégradée, une Afrique
institutionnellement faible, une Afrique morcelée proie de pirates et
d’aventuriers sans foi ni loi.
Cunctator.