dimanche 22 juillet 2012

1963, date où, pour le Congo, commença la descente aux enfers

A force de commémorations fastueuses, la mémoire collective a fini par transformer en lumière joyeuse la date du 15 août 1963, qui est pour l’historien la date du commencement et du début pour notre pays d’une période de grandes incertitudes et de souffrances terribles. La descente en enfer. Brutale et inhumaine, la révolution fit regretter au petit peuple qui y avait placé tous ses espoirs, les temps coloniaux. Comparés à la tourmente révolutionnaire, les temps coloniaux dont il avait pourtant hâte de sortir lui parurent, en contraste, d’une grande douceur. Renversement brutal de l’ordre social existant, une révolution est toujours une promesse de bonheur ; mais rarement tenue, et jamais d’ailleurs intégralement, lorsqu’il arrive qu’elle soit tenue.
Les changements positifs d’une révolution sont souvent opérés au prix de tant de souffrances que le petit peuple au profit duquel ils sont censés l’être n’en retient généralement que la souffrance par laquelle il a fallu passer pour les opérer. Et le petit peuple n’a pas si tort, le bénéfice des changements et leur bienfondé n’apparaissent, souvent, que longtemps après. De toute façon, il n’existe pas de révolution qui ne fasse mal, et même qui ne fasse du mal. La Russie de Lénine, la Chine de Mao-Tse-Toung se modernisent au prix de souffrances terribles et de milliers d’hommes et de femmes envoyés à la mort. La révolution française de 1789 impose le respect des droits de l’homme à la conscience universelle, mais au terme d’un dur combat, en France d’abord, dans le monde entier ensuite ; encore que la bataille n’est pas encore totalement gagnée. Mais à côté de celles qui réussissent partiellement, il est des révolutions si petitement pensées qu’elles aboutissent, sur le plan social, à de véritables catastrophes. A se demander s’il n’eût pas mieux valu qu’elles n’eussent jamais lieu. La révolution congolaise de 1963, me paraît relever de cette catégorie de révolutions inutiles. Un avorton de révolution. Et ceux-là seuls qui surent se
positionner pour en tirer les ficelles, y trouvèrent leur compte ; et s’ils sont encore en vie, sont aujourd’hui heureux ; si le bonheur se définit en termes de possession d’une masse élevée de biens matériels, et de reconnaissance sociale. Pour le peuple qui l’avait acclamée, la révolution
congolaise de 1963 reste une terrible illusion.

Cela n’empêche, à mon sens du moins, que cette révolution congolaise de 1963 fut un évènement « épochal », un évènement qui marque une césure dans le cours de l’histoire de notre pays désormais coupée en deux périodes présentant chacune ses caractéristiques distinctives : unité générale de ses façons de sentir, de penser et d’agir, à partir de quoi il devient parfaitement licite de parler du Congo d’avant 1963, et du Congo d’après 1963. Mais si cette révolution congolaise de 1963 fit évènement épochal, ce fut moins par l’instauration d’un régime politique nouveau, l’ascension politique et sociale foudroyante d’hommes surgis de nulle part imprimant cependant au cœur de l’Histoire de leur pays leur marque personnelle dont allait dépendre par la suite l’évolution de cette histoire, que par la sécrétion et la structuration de nouvelles mentalités collectives dans une configuration qui fait apparaître ces deux périodes de notre Histoire dans un rapport de violent contraste.
Sur le plan de la psyché et des mentalités collectives où je place la comparaison, la période post 1963 apparaît bien sombre et troublée, face à la période anté 1963, certes pas vêtue de lin blanc et de candide innocence, mais assurément plus respectable, plus soucieuse des choses de la morale et du rapport à autrui, peu importe que ce fut du fait de l’éducation et donc de l’habitude qui vide l’acte moral de sa valeur. Toutes nos traditions, depuis celles des temps les plus anciens à celles qui traversent la période coloniale, toutes enseignèrent les principes fondamentaux de l’humanisme universel et veillèrent à leur respect : le respect de la personne et de ses biens, à commencer par sa vie, et si elle n’est plus en vie, le respect de sa mémoire. C’est ainsi que, chacun cultivant une espèce de noblesse de l’âme, on ne volait pas. Le vol était le fait de marginaux et le crime crapuleux était rare. Des saints, cette société ? Que non ! Mais c’était une société qui avait le sens des valeurs et qui se battait pour régler sa conduite sur celles-ci. C’est cette société là que la révolution de 1963 vint souffler. La révolution ayant appris du marxisme la nécessité, pour progresser et se développer, de faire table rase du passé. Faute d’autres principes pédagogiques, elle y alla par la violence. Et la violence emporta l’âme de toute une société. La société des antivaleurs que dénonce le Président Dénis Sassou Nguesso, s’installe progressivement, dès le soir du 15 août 1963, pour culminer entre 2000 et 2012.

Elle apparaît comme la conséquence désastreuse du déficit d’un système éducatif fait de bricolage, et abandonné, dans l’enseignement primaire et secondaire, à un corps d’agents formés à la hâte, même si certains d’entre eux présentent de réelles aptitudes au métier d’enseignement et sont loin d’être des cancres. Naturellement, même doué, le sujet qui sort du primaire et du secondaire avec des connaissances vagues, approximatives ou lacunaires est mal parti pour suivre des études supérieures. Impossible d’aller jusqu’au bout sans tricher. Comme il a de grandes ambitions, et que les diplômes délivrés par l’enseignement supérieur sont les moyens de réalisation de ces ambitions, il ne résiste pas longtemps à la tentation de la fraude, d’autant plus que des agents de l’administration et certains enseignants l’organisent, encouragés par le vent de fraude qui souffle sur la société tout entière. Mais la fraude, la concussion et la corruption, en quoi se résument les antivaleurs qui empoisonnent aujourd’hui le sommeil du Président de la République du Congo et de tout homme de bien, ne sont que des signes de la dégradation morale d’une société plongée dans une profonde crise d’identité par deux générations de monopartisme hypocrite et brutal où la morale et les principes sains de régulation des rapports sociaux furent moqués et viciés ; tandis que, institutrices oublieuses de leur mission d’éveilleurs des consciences, peu préparés à faire une lecture informée et éclairée de la société mise en place par les révolutionnaires, les églises chrétiennes piégées par les politiques ne refusaient pas la main que leur tendaient les politiques de tous bords.

jeudi 12 juillet 2012

L’accord de l’éthique et du politique: rêve éternel des sociétés humaines

On a pu définir la politique comme étant l’art de gouverner. Le vague de la définition et surtout sa référence à l’art, royaume de l’imagination, la folle du logis, fait que selon son tempérament et son éducation, chacun l’interprète comme il l’entend. Machiavel, qui place au centre de la vie politique, un prince qui est loin d’être un saint soucieux de la conformité de ses actes avec les exigences de la loi morale, ou même seulement un sage, pour sa sécurité intérieure attentif à calculer les conséquences de chacun de ses actes sur lui-même et sur autrui, Machiavel nous a habitués à ne pas nous occuper de morale en politique. Dans ce qu’elle fait, la politique ne doit viser que des résultats et tous les moyens sont bons. L’Histoire montre que ce n’est pas toujours impunément, sans revers, au bout du compte, que Faust conclue alliance avec Méphistophèlès.

En revanche, définie comme l’ensemble des moyens, matériels, intellectuels et spirituels, déployés en vue de la recherche du bien et du bonheur de la cité, la politique a lien, c’est clair, avec l’éthique, l’art de vivre et de vivre bien qu’avec le philosophe, nous nous définissons comme étant «l’ensemble réfléchi et hiérarchisé de nos désirs». Et quel homme ne désire le bonheur? Seulement, la sagesse lui interdit que ce soit au détriment de la raison et de la loi morale, en lésant des tiers dans leur corps et dans leur âme ou même aux détriments de ses propres intérêts supérieurs, spirituels et moraux. Le bonheur des peuples dépend ainsi de la prise de conscience, par les gouvernants, de la nécessité de l’alliance de l’éthique et du politique, de l’adéquation de l’action à une nécessité morale.

Mais la faiblesse de l’homme est connue. C’est pour cette raison que, dans les sociétés civilisées, l’exercice de la politique est entouré de mécanismes qui protègent des abus auxquels se trouve exposé tout pouvoir. Lorsque la force du droit n’est pas entravée par une violence illicite et crapuleuse, ces mécanismes de régulation civilisent, forcément, le corps social et tracent le cadre de son développement.

L’Afrique n’arrête pas de bégayer sur la voie du développement, parce qu’elle n’a pas la sagesse et le courage de réduire l’écart que des dirigeants médiocres, frivoles, sans cesse, creusent entre l’éthique et le politique. Austère comme un anachorète, mûri par la longue épreuve, Nelson Mandela n’a pas fait d’émule qui eut assez d’amour de son pays et de sagesse pour ne pas s’incruster au pouvoir. Le pouvoir, il le sait, finit toujours par pourrir ceux qui s’y attardent; même les meilleurs.

Dominique NGOIE-NGALLA

lundi 2 juillet 2012

Démocratie adulte et apaisée: la nécessaire mais difficile adéquation de la fidélité au renoncement

L’homme a besoin, pour son équilibre psychologique, d’enracinement. Et vite qu’il retrouve ses repères si, par malheur, il venait à perdre! Seulement, l’enracinement est semblable à la mémoire où l’oubli est, dans un cas, faiblesse morale, vertu dans l’autre, la vertu résidant dans leur adéquation à une nécessité éthique. Dans le cas de la mosaïque d’ethnies que sont la majorité des Etats de l’Afrique noire, l’enracinement aveugle des citoyens dans l’appareil idéologique cloisonné du terroir de leurs aïeux est faiblesse morale, source d’antivaleurs, comme la xénophobie, le repli et la violence identitaires constituent un obstacle redoutable à la construction d’un vivre ensemble harmonieux entre étrangers, à la formation de cette grande âme collective qu’on appelle la nation.


La responsabilité des partis politiques et de l’Etat.

Pour autant qu’ils s’assignent pour tâche la formation des citoyens à la société démocratique et qu’ils ne se définissent pas comme des espaces du dressage des molosses à lancer sur les voisins, l’implantation de partis politiques dans tous les départements du territoire national peut être saluée comme un signe positif de décloisonnement des ethnies, de leur mutuelle acceptation, le signe du surmontement de leurs contradictions que la juxtaposition ou la superposition des pôles d’identification de l’individu où le pôle d’appartenance prime, faisait craindre qu’il ne soit pas possible, avant de longue générations. L’analyse d’un certain nombre de pratiques peu citoyennes répandues dans toute la République sans que s’élève une vive réprobation des partis politiques et de l’Etat coordonateur de tous les processus sociaux, confirme nos craintes et nous conduit à des conclusions désenchantées. Dans une telle République et un tel Etat où, du fait de la forte charge affective des liens, le pôle d’identification groupale prime sur tous les autres (confessionnels, professionnels, scolaires, sportifs), la promotion sociale, professionnelle ou politique du citoyen est d’avance compromise, dès lorsqu’il ne se trouve pas du «bon coté».


C’est le critère de l’appartenance groupale qui décide. Le principe républicain de l’égalité des chances entre citoyens égaux est, sans vergogne, foulé aux pieds. Fondée ailleurs sur le mérite, l’accès aux meilleurs postes à la fonction publique, à la police, à l’armée, à tous les corps de métiers contrôlés par l’Etat, est ici déterminé par de tout autres critères, affectifs ceux-là.


L’Etat, il est clair, est ici un instrument de domination au service d’un groupe ethnique à quoi se réduit, alors, la totalité de la société dont il est censé être le produit et l’émanation. Nous sommes retournés à l’Etat traditionnel, archaïque, contrôlé par une minorité qui a le monopole de la décision politique et administrative, mais toujours en conformité avec ses intérêts particuliers. Naturellement, les citoyens écartés du partage broient du noir et finissent par perdre foi en la promesse de l’avènement d’une République de citoyens égaux et frères, et ruminent des solutions nihilistes.


De telles conduites narcissiques de repli identitaire qui sont des conduites naturelles à l’ethnie, dès qu’elle se trouve placée face à d’autres ethnies, restent un frein redoutable au processus de rationalisation progressive de tous les processus sociaux par quoi se fait le passage de l’Etat archaïque à l’Etat moderne qui s’assigne comme tâche de relever toutes sortes de défis émotionnels auxquels exposent le cloisonnement ethnique et le solipsisme identitaire, tentation permanente de l’homme. Tout change, dès que l’ancrage culturel, bien naturel, devient nécessité éthique d’appropriation spirituelle de soi, impossible, en tout cas difficile si on vient à perdre ses repères.


C’est le nécessaire «noti seautonn» socratique, connais-toi toi-même, d’après le philosophe grec, l’acte fondateur de la connaissance scientifique, chez l’homme, et le principe de l’éveil de l’esprit aux problèmes du monde. Il est l’acte par lequel commence l’aventure spirituelle de l’homme appelé à devenir ce qu’il est: une personne, être de raison s’accomplissant dans l’ouverture au monde des humains. Tout le contraire du cloisonnement ethnique, agressif à force de craindre l’autre et sa différence. Se connaître, afin de savoir sa vocation: sujet responsable de soi et de l’univers. Et c’est tout le devoir de l’Etat républicain et de ses institutions d’éducation: former à la conscience citoyenne de responsabilité de chacun sur tous et de tous sur chacun; progressivement, de génération en génération, avec patience, avec constance, sans se lasser jamais.


Jusqu’à ce que nos origines culturelles, nos racines donc, et leurs valeurs redécouvertes deviennent le support sur lequel peser, pour nous lancer à la découverte d’autres mondes et d’autres humains à aimer. La vertu de l’ancrage dans l’humus fécondant du terroir semblable au sein maternel, réside ainsi dans l’adéquation de cet ancrage à une nécessité morale: se connaître grâce à l’éveil aux valeurs authentiquement humaines du terroir et ainsi accéder à une meilleure connaissance de l’autre avec lequel je me découvre des liens de fraternité et de communauté de destin.


Dans l’Afrique noire des Etats multiculturels et multiethniques en permanence secoués par des crises politiques, le chemin d’une démocratie… adulte et apaisée, et donc économiquement viable et vivable, passe par une subtile articulation de la fidélité et du renoncement à nos racines. Le jeu, il est clair, ne va pas sans courage et une certaine forme de l’intelligence.


Dominique Ngoïe-Ngalla, La semaine Africaine, 26 juin 2012

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.