jeudi 29 mars 2012

Le défi de l’Afrique au monde peut surgir de la méditation de l’histoire de la traite des Noirs


Le retour, pour s’en nourrir, de l’Occident post-médiéval aux valeurs de la Grèce et de la Rome antiques fut, pour l’épanouissement intellectuel et l’essor de la civilisation de cette région du monde, un haut moment de l’histoire de l’humanité. Poussées en pleine lumière par la sagacité des humanistes, Rome et Athènes deviennent, dans tous les aspects de la réalité sociale, le socle sur lequel allait bientôt s’élever la prestigieuse civilisation de l’Occident européen. La Renaissance, depuis, n’a jamais cessé de faire rêver le monde entier. Tous les pays désireux de retrouver du tonus et de la vigueur méditent son exemple. S’inspirant des humanistes de la Renaissance (XVème – XVIème siècles), une certaine élite négro-africaine désireuse de sortir son pays de l’ornière, travaille, à son retour, non bien sûr à la Rome et la Athènes antiques, ce serait prendre le chemin de l’aliénation, mais aux valeurs de civilisation de l’Egypte pharaonique, d’après les égyptologues africains, œuvre de ces Noirs depuis migrés au Sud du Sahara.

Seulement, entre la situation des humanistes de la Renaissance et l’élite africaine fascinée par l’Egypte pharaonique sur le retour aux valeurs de laquelle elle fait reposer l’espoir du développement de l’Afrique, il existe des différences de détail, certes, mais déterminantes: les hommes de l’Antiquité gréco-romaine et les humanistes de la Renaissance relèvent d’un même groupe humain (d’une même race comme on disait encore hier), tous des Blancs installés sur un même espace géographique.Deux facteurs aux influences décisives dans les communications entre les différentes composantes sociales et culturelles de cet espace et le maintien de leurs contacts à travers le temps. Ce qui est loin d’être le cas des Négro-africains dans leurs rapports avec l’Egypte dont d’ailleurs, nous sommes loin de savoir avec exactitude, si, comme on l’affirme, ils étaient effectivement les aborigènes de ce pays, avant de gagner le Sud du Sahara où ils sont solidement installés.

Au Vème siècle avant notre ère, Hérodote, qui avait séjourné en Egypte, affirme, certes, que les habitants de ce pays ont la peau noire, «melaïnes» en grec. Seulement, s’agissant de pigmentation, le Noir ici peut n’être, pour l’historien grec, qu’un simple dégradé de la couleur blanche, de l’épiderme des Grecs, blonds aux yeux bleus comme Ménélas, en comparaison de laquelle la couleur brique cuite et foncée de l’épiderme des Fellah et des Berbères bronzés depuis leur naissance lui parut noire; en tout cas tirant plus sur le noir que sur le blanc? Dans ce cas, s’il avait été, non pas Grec, mais Latin, Hérodote aurait dit des Egyptiens qu’ils étaient «Adusti», bronzés. Et puis, habitants autrefois de l’Egypte, comment expliquer qu’aujourd’hui, il n’en reste plus aucun, les Noirs qu’on y rencontre, dans tout le reste du Maghreb aussi bien, étant les descendants des esclaves que, à partir du VIIIème siècle, les Arabes s’en vinrent acheter au Sud du Sahara, ou dans les pays du Sahel?

Une difficulté épistémologique surgit, lorsqu’on cherche à établir, avec exactitude, l’existence d’un lien historique, physique et culturel entre les Bantu d’Afrique centrale et australe et les peuples de l’Egypte pharaonique, dans le but, en faisant de ces peuples prestigieux les ancêtres des Bantu et de tous les Noirs d’Afrique, de susciter, dans leurs cœurs et leurs esprits, fierté et enthousiasme créateurs, comme il arriva chez les Renaissants, lorsqu’ils eurent retrouvé Rome et Athènes, socle indispensable à la reconstruction de la personnalité de l’homme noir, fragmentée, émiettée dans la longue traversée d’une histoire difficile. Mais, pertinent pour les égyptologues africains et les petits cercles qui naissent autour d’eux, le lien de l’Afrique au Sud du Sahara avec l’Egypte des merveilles est loin de l’être, en dehors des cercles savants. Et on voit mal que le faible intérêt que, dubitatif, le grand public accorde à la culture et à la civilisation de l’Egypte pharaonique devienne, demain, le levier du développement de l’Afrique, à l’exemple de l’Occident épanoui au contact vivant avec son passé ancien, sans recherches laborieuses, reconstitué: Athènes et Rome dont personne en Occident ne douta qu’elles furent la maison de leurs ancêtres.


En tout cas, la thèse de la participation de l’Afrique bantu et du Sahel à la construction de la civilisation de l’Egypte pharaonique me laisse sceptique. En quoi nos ancêtres se seraient élevés aussi haut dans l’ordre de l’intelligence de la science et la technique, il y a aujourd’hui six mille ans et il n’en est rien resté dans la mémoire collective: contes, mythes, légendes? Le mythe surtout prompt à se saisir de tout, fait sortant de la quotidienneté, pour y broder afin que la poésie et la magie de sa langue le gravent dans la mémoire des générations successives. Mais, est-il hérétique de penser que, pour s’éveiller à la conscience tonifiante du tragique de son destin, et ainsi se résoudre à se (re)construire, le retour de l’Afrique à l’Egypte pharaonique n’est pas nécessaire; qu’il est juste utile pour l’élargissement des bases de notre culture générale? Pour susciter en nous l’émotion et la révolte, dans notre situation, nécessaire à l’éveil en nous de l’esprit d’initiative et d’innovation, la rencontre méditée avec notre passé de ténèbres pourrait suffire. Par delà la colonisation, remonter à la traite des Nègres. Il existe, aujourd’hui, de très bons films qui en restituent, de façon admirable, l’ambiance et l’atmosphère favorables à la révolte créatrice: l’effet de contraste saisissant produit par la cruauté barbare des négriers, d’un côté, et même lorsqu’ils entrent en révolte et en rébellion, la noblesse des esclaves drapés dans leur dignité bafouée sont tonifiants pour ceux qui ont encore quelque chose dans les tripes. Kunta-Kinte est inoubliable; et combien d’autres comme lui, héros obscurs qui fouetteraient comme lui, nos courages et réveilleraient nos volontés dormantes pour créer, chacun selon son talent, et en toutes les disciplines, ces choses grandes et belles; celles-là même que les Egyptologues africains croient impossibles sans un retour aux valeurs de l’Egypte ancienne retrouvées.


Et puis, le retour aux valeurs de culture de l’Egypte pharaonique comme chance à saisir pour enraciner l’élan créateur des Africains est malheureusement prôné à un moment de l’histoire saturé de prouesses scientifiques et techniques en comparaison desquelles les audaces scientifiques et techniques de l’Egypte ancienne sont des balbutiements.L’obstination des Africains à vouloir reprendre le chemin de l’Egypte obéit peut-être à un autre souci que celui du progrès et du développement. Sur un mouvement d’humeur bien stérile, se démarquer, à tout prix, du reste du monde et des autres groupes humains! Il n’est pas imprudent de penser que seul un lien lucide et médité, avec notre histoire connue et connaissable, peut remettre l’Afrique dans la posture de sujet, cessant d’être celui qui subit pour devenir celui qui prend des initiatives. Aux Etats-Unis d’Amérique, il est constant que, lorsqu’il arrive que le hasard les place dans des conditions d’existence relativement bonnes, les descendants des esclaves noirs émergent pour atteindre un niveau de conscience qui fait d’eux des Américains qui, comme les meilleurs Américains blancs, travaillent à la grandeur de l’Amérique. Il n’y a pas de raison qu’en Afrique, les descendants des vendeurs d’esclaves ne fassent pas aussi bien, si on améliore les conditions de vie du cul de basse fosse où les maintiennent les dirigeants de leurs pays.


Dominique Ngoïe-Ngalla.

lundi 12 mars 2012

Christianisme et religions africaines comme espaces de sens distincts et opposés

Les religions africaines ne s’organisent pas comme les religions révélées (judaïsme, christianisme, bouddhisme), autour de la méditation sur les problèmes métaphysiques: le sens de l’existence humaine, le mal, la mort. Sans ambition intellectuelle tournée vers la recherche de solutions à des conditions d’existence précaires et difficiles, elles sont orientées, à partir de visions du monde et de systèmes d’idées simples, à trouver les moyens d’affronter les peurs et les angoisses venues de l’ignorance du monde qui entoure l’homme.
Source de nourriture, mais aussi de peurs et d’angoisses, la nature se vit vite attribuer, par l’homme, des forces extraordinaires, surnaturelles, numineuses, en permanence, tenant l’homme sous leurs menaces terrifiantes. On fait dépendre le bonheur de l’homme sur terre, de la nécessité, pour lui, d’inventer des astuces et des stratagèmes pour se concilier ces forces redoutables, se les rendre favorables dans tout ce qu’il entreprendrait. La condition étant une connaissance parfaite des formules rituelles, élaborées à cet effet, leur récitation exacte. Le statut ontologique de ces divinités (les «mikissi», singulier «mukissi» de la société kongo; on dit encore «nkita», mais pour désigner une autre classe de «mukissi») est flou, indéterminé. Les «mikissi» sont-ils des entités douées de conscience ou bien sont-ils, comme les robots, des forces qui ne sentent ni ne pensent, leur efficacité dépendant uniquement de l’adresse de l’homme à les manipuler? On ne sait pas trop.
La seule chose, en revanche, qu’on sait d’observation, c’est que les religions auxquelles ces «mikissi» ont donné naissance n’ont pas pour but, comme dans les religions révélées, la connaissance, l’amour et le service d’un Dieu parfait vers lequel les fidèles doivent s’efforcer de tendre, dans un effort constant d’ascèse et de purification intérieure. Elles ne sont pas des organisations en recherche de spiritualité; elles n’exigent pas de leurs fidèles l’élévation de leur âme vers des réalités infinies. Elles sont juste des techniques, un ensemble de procédés pour s’ouvrir un accès à des forces invisibles et redoutables dont l’homme peut, cependant, se servir comme moyen d’action.
Certaines de ces divinités sont, tels les «bissimbi» des Kongo, cruelles et agressives; la connaissance de leur psychologie et de leur caractère par l’homme l’aide à vivre avec elles sans trop de danger. Ainsi, l’homme qui passe dans les parages où se trouvent leurs habitacles, doit, s’il veut éviter qu’elles lui courent dessus, penser à se munir, pour les leur jeter, d’œufs, de poisson fumé ou de bananes mûres (bananes dessert). La faculté que possèdent ces divinités d’éprouver des sensations (ici la faim) et de les satisfaire, fait d’elles des êtres anthromorphes, certes, mais privées, semble-t-il, de la conscience qui ferait d’elles des personnes comme est une personne, le Dieu des religions révélées.
Les religions africaines ne sont pas, de ce fait, des religions d’adoration et d’amour, de recherche de l’union mystique avec Dieu, mais des religions où la prière est une incantation de type magique, et le rituel liturgique, une suite de gestes prosaïques inspirés par la quotidienneté et les pulsions de vie. Nous sommes loin du souci d’élévation de l’esprit au-dessus du corps dont, au contraire, ici la présence est souhaitée la plus dense possible: danse, transes et cris de joie stridents! Tout le contraire du rituel de célébration chrétienne catholique par exemple où l’humble demande des fidèles est portée par un chant qui se confond avec la voix d’homme, le plain-chant, acte de reconnaissance, d’adoration ou de repentir murmuré à l’oreille de Dieu.
En Afrique noire, dans le bassin du Congo, les premiers baptisés passèrent au christianisme (XVIème siècle) avec la conception primitive et bornée de la religion de leurs pères. Vingt ou vingt-cinq générations après, on peut douter que quelque chose de ce patrimoine ne soit pas passée à leurs descendants, tant est lente l’évolution des mentalités et des cultures qui les structurent. Le franc succès que, aujourd’hui, au Congo et en Afrique, rencontre l’idéologie de l’inculturation pourrait bien s’expliquer par la survivance d’éléments du rituel des religions de nos pères: cet amour de l’expression corporelle, ces danses, ces cris de joie devenus l’ornement de nos cultes, faisaient partie du rituel de nos religions. Ce rituel trépidant contraste violemment avec la gravité du message de l’Evangile et la noblesse de la religion chrétienne, dans ses formes d’expression tellement éloignée de la religion de nos pères si prosaïquement terre-à-terre et matérialiste!
Or, sans tourner le dos à la matière, le christianisme est une religion qui ouvre sur l’espérance du salut, mais sur fond tragique: «Le disciple n’est pas au-dessus de son maître; Prends ta croix et suis-moi; Les violents seuls arracheront la victoire; Il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer au paradis», et ainsi tout du long. Un Dieu qui s’incarne et meurt pour laver la faute de l’homme et le sauver, est-ce donc une fantaisie pour que soient autorisés au culte ces trémoussements du corps et ces criaillements qui dessinent un espace de sens contraire à celui que l’Evangile nous propose?
Les Juifs, qui ont de Dieu une plus noble idée que bien des Noirs d’Afrique n’ont pas, ont pour le louer et l’adorer un rituel de bout en bout austère, qui mobilise la conscience. Pas de place pour la fantaisie que, même Noirs, s’interdisent les musulmans dans leurs mosquées. Il faut, donc, craindre que les chrétiens d’Afrique et du tiers-monde (Amérique latine et Caraïbes) qui se grisent d’une inculturation du christianisme dégradée en exaltation tapageuse du corps et des sens, n’aient, en fait, un problème avec l’Evangile qui, constamment, nous rappelle au devoir de tenue et de retenue, de discrétion, de discipline du corps et de l’esprit. L’inculturation à l’africaine, outre qu’elle a préalablement lien avec des traits fossiles des religions de l’Afrique ancienne dont le moins qu’on puisse en dire est que, si proches de la magie, elles n’ont pas grand-chose de commun avec le christianisme et l’Evangile de Jésus-Christ, l’inculturation à l’africaine est peut-être une manifestation du besoin de fantaisie des cultures et de l’âme africaine. Trop de sérieux les agacerait! Dieu merci, la thèse est fausse et l’explication se trouve ailleurs: dans un enracinement du christianisme encore insuffisant dans notre culture dans son essence, le christianisme bien compris est invitation constante à la joie («Gaudete, interum dico, gaudete», Paul, épitre), mais, la joie grave de ceux qui ont une claire conscience du tragique de l’existence où l’homme a été jeté.
En vérité, dans notre volonté légitime d’enrober notre foi chrétienne de notre culture, espérant ainsi l’enraciner plus en profondeur en nous, seul un nationalisme borné peut nous dicter de prendre appui sur les religions et les cultures de l’Afrique ancienne, sans un examen préalable rigoureux de leur contenu. C’est que le christianisme et les religions africaines sont loin d’ouvrir des espaces de sens identiques et superposables. Et cette différence radicale affecte forcément la compréhension et la pratique du christianisme de l’Africain qui embrasse la foi chrétienne sans une totale remise en cause des valeurs religieuses et de culture de sa société d’origine. Si donc l’on veut éviter de donner dans des syncrétismes aberrants, rien d’autre à faire que de soumettre à une sévère sélection, les traits de nos cultures que nous voulons mettre au service du christianisme. Il faut qu’ils aient une telle valeur d’humanité qu’ils sont capables, demain, de déborder les frontières des chrétientés africaines et de s’universaliser.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.