Les dictateurs ne devraient pas seulement se préoccuper des revendications sociales de leurs peuples ; les bonnes conditions de vie que certains d’entre eux, soucieux du pain de leur peuple, s’attèlent à leur garantir ne sont pas suffisantes pour faire oublier leur confiscation de la scène politique. Des décennies de règne brutal et suspicieux, réprimant le moindre mot de travers à l’encontre du « chef », brisant tout élan contestataire par des moyens dissuasifs, ne parviennent pas à effacer les aspirations à la liberté des populations intimidées par la nature agressive du régime. La révolte du peuple libyen, dont on dit qu’il bénéficie de conditions sociales enviées sur le reste du continent, rappelle qu’une prison, fût-elle dorée, ne cesse d’être un lieu privatif de liberté. Au bout d’un moment, court, long, ça dépend, l’esprit, ne s’épanouissant réellement que dans un environnement dans lequel son déploiement est possible, se sent enfermé et, naturellement, tel un animal ne pouvant supporter trop longtemps d’être hors de son milieu naturel, rêve d’une structure sociale et politique favorable au plein exercice de ses facultés.
Arabes, donc selon certains impropres à la démocratie et à l’autonomie du sujet, les libyens confirment que l’homme n’est pas un animal domestique qu’on se contente de nourrir, de soigner et de traiter comme on souhaite parce qu’on est son maître. Or l’homme n’a pas de maître, sa condition supérieure fait de lui ce démiurge doté d’un pouvoir de création qui ne se manifeste que lorsque sa dignité intrinsèque est prise en compte et respectée. Cette dignité de l’homme ne fait pas bon ménage avec les formes d’organisation politique, comme de Kadhafi, refusant l’autonomie de la personne qui brident ses actions, sa pensée, ses opinions, voire ses émotions. De telles structures répriment sévèrement les comportements qu’elles jugent déviants. La liberté étant une aspiration naturelle de notre condition il est alors normal qu’on étouffe lorsqu’on subit trop longtemps, seuls ceux qui en tirent profit peuvent en dire et en penser du bien. Les libyens ne veulent plus de « guide », ils aspirent eux aussi à définir leurs propres trajectoires. Ils ont en assez des confiscations des libertés publiques, des confiscations des richesses et surtout de ce régime quasi monarchique sans constitution, donc gouverné selon les désirs du « guide ».
Une chose que les autocrates ne semblent pas anticiper c’est que avec l’élévation du niveau de vie s’élèvent les aspirations à moderniser ses conditions d’être. La modernité finit nécessairement par s’allier avec la liberté. Plus on a de savoir plus on s’humanise et on aspire à voir mieux qu’un clown assez fou pour vouloir concilier modernité et féodalité, plus on a de capacités à créer; avec l’argent vient la possibilité d’épargner et d’investir. Se rendant compte que ces corolaires du bien être social ne sont pas possibles sous des régimes de nature de nature despotique, les populations finissent par réclamer ce qui leur manque pour réellement jouir de leur bien être.
Outre l’universalité des aspirations à un régime favorisant l’épanouissement des facultés humaines, la geste libyenne devrait servir d’exemple, à l’homme des pays les plus avancés en termes de démocratie. Bouffi de matérialisme, passionné pour son bien-être et son confort plutôt que pour la défense de ses droits et libertés, piégé par la tyrannie de la majorité, ce dernier perd tout sens politique. Son individualisme dévoyé lui fait perdre toute notion d’engagement collectif capable de vigilance face aux tentations despotiques que favorise le désintérêt pour la gestion de la cité.
Cunctator