mardi 29 mars 2011

Dub Oyé, le nouvel album de Nzela : du reggae made in Congo


Longtemps la scène reggae africaine et francophone était dominée par quelques noms, vous pouvez désormais y ajouter Nzela. Avec son troisième album, Dub Oyé, sorti en février 2011, Nzela, groupe majeur de la scène reggae française nous invite à faire un voyage musical pendant lequel on oscille entre la Jamaïque, l’Afrique et l’Europe. Plus d’une décennie après s’être lancé dans l’aventure reggae, revoici Nzela. Dub Oyé, au style maîtrisé et varié, laissant une bonne place au dub, fait penser, sans pouvoir dire à qui précisément, à telle ou telle icône du reggae. Le son de Dub Oyé c’est du pur Nzela ; il ne revendique d’affiliation à aucun maître du reggae roots, sinon au reggae roots lui même. Ce beau résultat est le fruit d’une instrumentation et d’une orchestration bien travaillées, qui n’ont laissé aucun élément indifférent. Basses, guitares, guitare blues, claviers, batteries, cuivre et des percussions envoutantes, tant elles vous donnent envie de danser, se mêlent, pour le plaisir de nos oreilles, à un invité inattendu et rarement utilisé dans le reggae roots : le violon. A l’écoute de Dub Oyé on imagine le travail fourni par les musiciens pour nous offrir un album qu’on peut incontestablement classer parmi les sorties remarquables de cette année.

L’instrumentation est belle, nous l’avons souligné, mais ce n’est pas le seul agrément de cet album. Aimé Onouka (le chanteur leader du groupe) est à la hauteur de ce reggae de haut vol, posant sur la musique un chant amené par sa voie chaude et profonde. La chanteuse Mo’ Kalamity, parente de Sade Adu par le timbre, en featuring sur le sulfureux « Songs of rebels », nous fait généreusement apprécier sa voix sensuelle. Ancré dans la tradition roots, Dub Oyé présente est un album engagé avec des morceaux formant un coktail de français, d’anglais et de lingala. On pourra retenir certains lyrics incitant à adopter une attitude courageuse face aux difficultés, à ne jamais baisser les bras et à se créer des opportunités. Faisant un clin d’œil au Congo d’où il vient, Aimé Onouka ne fait pas mieux que de le dire en Lingala, l’une des deux langues officielles du Congo : « ba kangi awa to fungoli kuna, ba pimi awa, to zwi kuna », littéralement « ce qu’on nous refuse ici, nous le prenons là-bas ; quand on ferme ici, nous ouvrons là-bas ». Indigné de la première heure, le chant de Nzela s’en prend à ces « voyous » de dirigeants qui n’arrangent pas les choses dans leur pays ; il sait bien qu’ils s’en foutent, mais ne s’arrête pas pour autant de dénoncer même averti par le proverbe congolais « à force de vouloir laver la tête d’un singe on fini par perdre son savon », qui exprime l’inutilité de la dénonciation (« Ils s’en moquent »). Dans le mélancolique « Na telemi » mariant remarquablement une basse inoubliable à des percussions, l’une des perles de l’album, le chanteur s’adresse au Créateur qu’il souhaite rejoindre. Puis Dub Oyé, tout en dub, atterrit après ce voyage enrichissant et divertissant.


Cunctator.

vendredi 18 mars 2011

Le gouvernement se veut d'extrême droite quand Marine Le Pen s'essaie au populisme: le dérapage de Claude Guéant

« Les Français à force d'immigration incontrôlée ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux, ou bien ils ont le sentiment de voir des pratiques qui s'imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale » a dit Claude Guéant, sherpa de Nicolas Sarkozy, récemment nommé Ministre de l’intérieur lors d’une intervention sur Europe 1 jeudi 17 mars. Ces propos stigmatisants et trouvant un bouc émissaire tout désigné, s’ils sont choquants, parce que venant d’une personne censée incarner l’esprit républicain rassembleur de tous les Français sous l’idéologie de l'Egalité et de la Fraternité, est surtout un aveu d’échec : la politique de l’immigration est depuis les législatives de 2002 gérée par l’UMP, M.Sarkozy, patron du Ministre a lui-même géré ce poste pendant longtemps. Si M.Guéant, patron des politiques d’immigration juge ces dernières incontrôlées, ce n’est pas aux immigrées qu’il s’adresse, c’est à son propre camp. C’est bien sous la direction de ministres de l’intérieur issu des rangs de l’UMP que les immigrés surtout lorsqu’ils ont la mauvaise teinte, le mauvais accent et qu’ils viennent de pays pauvres, sont traités comme des bêtes puantes et malfaisantes qu’il faut absolument bouter hors des frontières du paradis qu’est la France.

C’est oublier que si les Français, plus que d’avoir le sentiment « de voir des pratiques qui s’imposent à eux et qui ne correspondent pas aux règles de notre vie sociale », se sentent chaque jour un peu plus près du gouffre, ce n’est pas la faute des immigrés qui par des formules incantatoires ramenées de leurs pays de sauvages jettent les Français dans le déclassement, la chute de leur pouvoir d’achat, les angoisses tenaces face à des lendemains inquiétants, mais c’est bien la faute à un gouvernement, mauvais marin naviguant sur une mer agitée avec une embarcation et des instruments propres aux petites eaux paisibles. Ce n’est pas en effet le pauvre immigré analphabète, peu ou pas intégré, ne comprenant rien à nos belles institutions, aux devoirs des gouvernants qui définit les politiques dont dépend le bien-être des Français. C’est aux représentants auxquels les Français ont confié des mandats, notamment au Président de la République par le biais de son gouvernement à travailler sans cesse, à faire preuve de courage, de bon sens et d’imagination pour inventer les solutions permettant à la France de demeurer une nation au sein de laquelle sous le patronage des principes de la République, l’homme soit digne. Cette dignité de l’homme commence par la garantie de droits économiques et sociaux.

Or qu’avons-nous, un gouvernement pusillanime, tremblant devant le pouvoir de l’argent et de la finance, fort en gueule devant les tribunes internationales, mais poltron face à ses véritables adversaires ; qui se trouve toujours le courage de taper sur une catégorie de personnes à laquelle un arsenal de lois toujours plus rigoureuses les une après les autres ôte toute possibilité de déploiement réel et de vivre l’idéal républicain ; qui veut faire croire que le droit au logement, le droit à la santé, le droit travail et à l’éducation sont malmenés par des « moins que rien ». Si les Français « ont parfois le sentiment de ne plus se sentir chez eux » c’est bien parce que depuis des années personne ne reconnait la France aux beaux principes et aux valeurs tant enviées. Ce n’est pas les immigrés qui ont saccagé cet héritage ; ils sont d’ailleurs eux-mêmes étonnés une fois en France de ne pas retrouver ce que des siècles de notre belle histoire nous ont légué de plus précieux.

Des épouvantails de mauvais goût, rien d’autre ! Face à la montée en puissance de Marine Le Pen dont des sondages annoncent des résultats honorables à la présidentielle de 2012, le gouvernement, apprenti sorcier s’illustre dans la manipulation de sujets nauséabonds et dangereux dans l’intention d’attirer ceux que les thèses xénophobes du Front National attirent. Sur le plan de la stratégie une manœuvre si cynique, en principe source d’indignation dans une véritable République – mais qui en France, hormis le presque centenaire Stéphane, Hessel s’indigne encore ? –, pourrait être justifiée si après que les objectifs sont atteints on revenait à un débat républicain et constructif. D’un point de vue tactique le dispositif des hommes clés du Président de la République, Hortefeux puis Guéant, analysé et compris par Marine Le Pen et ses stratèges a conduit ces derniers à modifier eux-aussi leurs principes de déploiement.

A la tête d’un parti d'extrême droite, voulant donner à son mouvement une ambition et une envergure que ne peuvent lui donner les imbéciles traditionnellement acquis aux thèses de son père, car patauger dans la boue ne paie pas, du moins jamais très longtemps, elle laisse le soin à d’autres de faire de la politique aux ras des pâquerettes: flairant plus ou moins les causes du désintérêt pour la chose politique chez le peuple et observant la lourdeur et la faiblesse des partis de gouvernement à s’attaquer à ces causes, elle les prends à son compte. Marine Le Pen opère ainsi une révolution idéologique au niveau de son parti. Aucun thème dont il faut s’emparer pour marquer sa prise en compte des préoccupations principales des Français, fut-il privilège de la gauche ou du centre droit, n’échappe à ses attaques. Elle fustige désormais le capitalisme et la mondialisation dévoyés, ôte son manteau ultra libéral pour se faire l’avocate d’un État plus interventionniste, rend les élites responsables du chaos actuel et donne à son discours un ton plus social.

Sous ses nouveaux habits le Front National menace la démocratie française que des politiques peu courageux et surtout grossiers n’arrivent pas à défendre tant ils se complaisent dans une façon de gérer la chose publique, ersatz de politique très éloigné des principaux buts de cette dernière. Nous vivons pourtant une époque agitée avec une crise économique et financière sévère ne laissant entrevoir rien de rassurant, avec une crise des valeurs et des représentations qui dessine le Français sous les traits d’un homme banal, sans reliefs, si peu fidèle à l’image du Français raffiné et passionné de grandes causes. Tout est donc propice à l’avènement d’hommes politiques tels qu’on en a plus vu depuis des décennies. L’espoir est permis, c’est le seul exutoire de l’homme piégé par son destin tragique.


Cunctator

samedi 12 mars 2011

Chantez poètes, c'est le printemps

Depuis des années en France plusieurs manifestations sont dédiées aux arts ; on y célèbre la musique, la bande dessinée, le cinéma, la littérature et tout ce qui veut bien se faire considérer comme un art. En ce moment l’un des genres littéraires les plus difficiles et les plus nobles est en fête. Vous ne l’ignorez pas, c’est le printemps des poètes. Pourtant, pour noble et fière qu’elle soit la poésie est depuis quelques décennies, le parent pauvre de la littérature : elle n’attire pas la foule comme le roman et, quoique lui aussi en retrait par rapport au roman, le théâtre. Pourquoi n’attire donc-t-elle pas les foules ? Ne correspondrait-elle pas aux goûts et à l’esprit de la modernité tardive qui lui préfèrent des lectures plus simplettes ? C’est vrai, j’oubliais, la poésie est difficile à saisir si on est pressé même dans ses lectures. Elle exige qu’on lui accorde beaucoup plus qu’un simple déchiffrage de lettres ; elle veut qu’on y entende rythme et sens et qu’on soit touché, qu’on s’émeuve, qu’on s’interroge devant les images qu’elle suscite. Sa beauté et son rôle, dût-elle en avoir un, elle qui, d’après les partisans de l’art pour l’art (Gautier et le Parnasse, Baudelaire, Mallarmé, etc.), n’a d’autre finalité que le beau, ne veut résider dans l’ivresse que procure la musicalité et la symbolique de mots et de vers sculptés avec soin et méticulosité. Son utilité c’est qu’elle apprend à prendre soin et à aimer les belles langues et les pensées droites. L’étonnant Boileau de l’art poétique n’en disait pas le contraire. Si on choisi de célébrer la fin de la grisaille, des ciels ternes et mornes, des températures glaciales avec la poésie, c’est qu’elle, quelque soit sa forme ou sa tendance, exprime mieux qu’un autre art la beauté du monde et des hommes gorgés de laideur.

La poésie nous peint cet être étonnant qu’est l’humain dans toutes ses dimensions et aventures. En cela elle est inéluctablement un art social, un art engagé et surtout un art politique (Hugo, Lamartine, Aragon, Eluard, Char, Neruda, etc.). Cet engagement presque naturel du poète, ce rêveur enlevé du sol, élevé au dessus de la sensibilité peu féconde et de la vision courte de l’homme accablé de travail et du quotidien vulgaires, vient de sa compréhension élevée de la condition et de la vocation humaines, qui lui fait s’évader dans un monde où ses dons exceptionnels lui permettent de toucher, de tâter cette humanité rêvée. Ainsi, tel Moïse descendant du Sinaï, il revient dans la réalité in-poétique avec des épopées nous montrant des hommes aux capacités surhumaines (Diomède et Ajax dans l’Iliade pour ne pas citer le vaillant démiurge), des hommes à la sagesse et à la force de caractère rares comme celle d’Ulysse, dont les aventures résument à elles seules le tragique de la condition humaine. Le poète nous revient avec la puissance lyrique d’Horace, des romantiques, de Verlaine et de tous les autres poètes dont les beaux chants d’amour résonnent à jamais dans le cœur de ceux qui ont le bonheur de les entendre. Ayant tâté l’humanité telle qu’elle devrait être, il redescend de son monde avec soit de l’indignation, de la colère, de la révolte, soit de la compassion ou de la pitié. Rien dans notre réalité in-poétique ne ressemble à cet ailleurs qu’il a le privilège d’imaginer ou de rêver. Alors il pleure, il crie ou se fait railleur. Son chant est d’autant plus touchant lorsque son engagement est soutenu par le beau. La langue poétique n’a rien à avoir avec le langage courant, elle le sublime, l’anoblit, et lui donne parfois une coloration mystique. La puissance de la poésie c’est cette charge qu’elle met dans les mots, cette pensée condensée qu’elle fait vibrer comme de la musique et qu’elle rend plus éclatante. Rien en effet ne fait plus vibrer que des symboles et des évocations éclatantes d’ombre comme les beautés en clair-obscur des peintres baroques, que la douce mélancolie de ces savants en art poétique qui seuls savent mêler le doux à l’aigre, le triste au beau qui vous fait d’emblée sentir ces « Sanglots longs/des Violents/De l’automne qui Blessent mon cœur/D’une langueur/Monotone » (Verlaine, Poèmes saturniens). Seule l’intuition poétique de Senghor, ce grand poète aujourd’hui pour je ne sais quoi malmené, pouvait lui faire dire « La raison est Hellène, l’émotion est Nègre ». Grand dieux, Senghor ! Le courage et la folie poétiques firent chanter à Césaire l’humanité ouverte des « fils aînés du monde/poreux à tous les souffles su monde/ aire fraternelle de tous les souffles du monde » méprisés, maltraités floués et moqués.

Cette année le printemps des poètes est précédé par un autre printemps, celui des peuples arabes. Comme les autres ils clament leur vocation à la liberté et à la dignité. Face à des princes ubuesques qu’on aimerait voir décrits en vers contemporains, ces peuples mahométans, qui en France seront prochainement l’objet d’un débat nauséabond et in-constructif, réclament la part de dignité qu’ils partagent avec les populations frappées d’asthénie et d’apathie des vieilles démocraties, endormies par la surconsommation et un individualisme béat rendant caduques les droits et devoirs du citoyens âprement gagnés. Il n’y a pas ici de prince grossier et autoritaire dont il faudrait se débarrasser, mais le danger guette l’Occident d’abord, le reste du monde ensuite, de la compromission avec des principes transformant l’homme en une bête vulgaire et méchante jouant un jeu dans le quel les gagnants sont ceux qui gagnent, s’enrichissent sur le dos des perdants jetés dans une misère et une indignité que n’expliquent que la bêtise et la cupidité. Alors poètes, c’est votre printemps, chantez, le monde ne vous pas suffisamment entendu encore.

Cunctator

mercredi 2 mars 2011

La tyrannie de l'urgence, un mal de la modernité tardive

Le temps, cet intervalle qui encadre nos vies, donc les actions qui s’inscrivent dans ces dernières, sera en notre faveur ou non selon nos façons de composer avec lui. Ceux-là prudents et avertis, jetant sur le monde et sur eux-mêmes un regard observateur et interrogateur, seront redevables de leur bonheur et de leur succès au temps apprivoisé. On les voit sur les trottoirs de nos boulevards et avenues, marchant d’un pas assuré, léger, un peu trop lent pour ce siècle pressé, souriants ou ailleurs, exfiltrés du tumulte et de l’obligatoire rapidité par la pensée, loisir (l'otium des Latins) et luxe que seuls peuvent s'offrir ceux qui ont du temps à y consacrer. Toutes les personnes qui pensent sont en effet reconnaissantes au temps grâce auquel elles disposent de ces précieux moments pendant lesquels elles sont dispensées des préoccupations et sollicitations de la vie. Chaque fois que je m’entends dire « je n’ai pas le temps », presque toujours sur le ton du regret d’ailleurs, cette phrase me laisse interrogateur et perplexe, me faisant penser à l’inquiétante apathie des jeunes gens aujourd'hui pourtant gorgés d’énergie.

Pour l’homme de la modernité tardive, les choses ne sont pas aussi simples : le temps est pour lui une ressource rare ; son appréhension est rendue de plus en plus difficile par l’accélération des rythmes de vie, elle-même provoquée par les prouesses technologiques considérables du siècle dernier. En effet les progrès et la démocratisation des transports et des télécommunications en réduisant les distances ont modifié le rapport à l’espace et à la durée. Cette victoire sur le temps, dans un premier temps saisie par le monde de l’entreprise, en quête permanente d’efficience et de compétitivité, puis étendue à la sphère privée et subjective, a favorisé la réalisation d’une multitude de tâches avec des ressources temporelles réduites. Une telle évolution, victoire incontestable en termes économiques, est la source d’une régression grave en termes d’humanité. L’homme, forcé de lutter avec le temps, a désormais l’impression de toujours en manquer, de telle sorte que même quand rien ne l’y oblige, il fait tout dans l’urgence. Comme une entreprise il se veut agir selon des procédés « time efficient ». Pourtant, malgré cette recherche d’efficacité tous azimuts comme si le principe d’une vie tenait essentiellement en des choix rationnels, mis à part le cadre du travail ou le temps est organisé et « rationnalisé », peu de personnes, à la vérité, peuvent affirmer qu’elles disposent efficacement de leur temps. Elles ont d’ailleurs toujours l’impression d’en manquer. Cette indigence permanente quant au temps, réelle chez bien des personnes malgré toute leur bonne volonté, n’est qu’une parade chez d’autres, qui trouvent dans l’argument de la maigreur de leurs ressources temporelles une justification à leur paresse, leur désintérêt pour une chose, leur mauvaise volonté. Comment, même considérablement réduit par le travail, peut-on manquer de temps alors que cette substance abstraite est ce qu’il y a de plus à notre disposition, sa limite étant celles de nos vies ? Cette affirmation du manque de ce dont, en principe, on dispose à souhait est un aveu d’une mauvaise utilisation de cette ressource précieuse. Nous la gaspillons plus que nous n’en manquons. Le maigre temps, mais néanmoins suffisant, que nous laisse nos obligations professionnelles est consacré à la télévision riche en programmes stupides, aux conversations téléphoniques de plus en plus longues et oiseuses, à l’internet et à tout ce qui, trop éphémère ou peu édificateur, ne nourrit pas l’homme.

Il est peut-être difficile, vu les choix économiques auxquels nous tenons tant en dépit leur nocivité, d’adopter une gestion du temps différente en ce qui concerne les affaires, mais rien n’est perdu en ce qui concerne la bataille pour maintenir notre humanité. Nous savons nous insurger contre les tyrannies politiques, mais ce ne sont pas malheureusement les seules, d’autres plus dangereuses nous rongent auxquelles nous devons dire « dégage !». Il faut s’insurger contre la tyrannie de l’accélération, qui chaque jour s’arroge des pouvoirs en dehors du champs économique, et ne pas y voir une fatalité comme le sociologue Allemand Hartmut Rosa (« Au secours ! Tout va trop vite », Le monde Magazine n°50, supplément au Monde du 28 août 2010).

Cette dernière transforme l’homme en un être superficiel tant la rapidité effrayante avec laquelle il s’adonne à ses activités ne lui permet pas d’en tirer profit. On ne prend plus le temps de profiter de la convivialité d’une bonne table, on mange plutôt seul et « sur le pouce ». Pressés même en vacances, c’est avec le pas rapide de l’homme d’affaires ou du voleur que nous visitons des pays. Pas le temps dans ce cas de se faire des réelles impressions du pays en question, nous n’en ramenons que des impressions fugaces. De nos villes nous devenons des habitants indignes ; nous nous contentons de ne que connaitre que nos trajets habituels et ne prenons plus le temps de nous y promener afin de s’en faire une idée globale et aussi de s’en émerveiller quand elles sont belles. On ne peut pas être maître du temps comme on ne peut l’être du destin, mais il ne faut en aucun cas cesser les affronter. Nos vies étant les nôtres, il nous appartient de leur donner le sens que jugeons convenable. Pour cela il faut négocier avec le temps, saisir des moments, se l'approprier afin d’y inscrire notre action. Une telle prise sur le temps exige de l’homme qu’il retrouve l’étonnant pouvoir de la volonté. Comme tout ce qui est précieux, ne profitent de sa valeur que ceux qui vont le chercher, ceux qui, comme des diables, se battent pour profiter de ses vertus même là où il se fait maigre. Le temps en effet ne s’apprivoise pas sans effort sur soi. Ceux qui pour se lancer dans l’action attendent sans cesse qu’il se présente à leur porte peuvent être sûrs de ne le voir jamais se présenter ; on les entend à tout propos dire « j’attends d’avoir le temps pour pouvoir le faire ». Ce type de réaction est suscité par l’impression qu’on a toujours quelque chose d « ’important » à faire, tout ce qui ne semble pas tel est renvoyé à un moment où notre capital temps sera si élevé qu’on pourra le gaspiller à des activités « inutiles », inutile étant entendu comme tout ce qui est dépourvu de valeur marchande: la convivialité, la compassion et l’amitié, la culture de soi.


Cunctator

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.