lundi 31 mai 2010

L’Afrique célèbre le cinquantenaire de son indépendance: quelle place pour le peuple?

Pure coïncidence ou entente entre les métropoles colonisatrices? La majorité des pays africains colonisés accédèrent à leur indépendancela même année:1960. Ce qui signifie que pour la célébration de l’anniversaire de cet événement, pendantdeux ou trois mois, de proche en proche, de relais en relais,le continent tout entier retentira de la clameur joyeuse de centaines de millions de coeurs en fête. Et cette fête, aucun pays ne la voudra petite, même si, depuis cette indépendance,jamais les vaches n’avaient été plus maigres sous un ciel constamment gris. Mais, comment fêter sans faste un aussi grand événement? Grâce à lui, tout un continent,broyé depuis des siècles, renaissait à l’humanité d’où l’avaient banni les négriers et les colonisateurs, qui rivalisèrent de cruauté bestiale avec les esclavagistes arabes et les négriers. 1960, par la force du symbole effaçait tant d’humiliations et lavait de l’injure du classement dans les races inférieures juste bonnes à servir d’escabeau à la race supérieure et blanche! Qui, par conséquent ayant pris conscience de la signification d’une date aussi mémorable, ferait objection à ce qu’on ne regardât pas à la dépense, même si en Afrique, l’indice du développement humain (IDH) est l’un des plus tristes de la terre et que le continent tout entier croule sous le poids d’une dette extérieure qui condamne 98% de sa population à une existence végétative, larvaire et bornée?

Celui qui, par comparaison, a pris la mesure de l’ampleur des malheurs dont 1960 délivra l’Afrique noire, celui-là peut comprendre les folies de la célébration d’un anniversaire pas comme les autres. Il excusera, attendri, les auteurs de ces folies. Une crainte pourtant que ces folies bien compréhensibles, presque légitimes, ne fassent pas oublier à l’Afrique ce qui justifie, en fait, ces folies: la célébration de cet anniversaire, (c’est l’espoir du petit peuple) doit être un moment propice à une réflexionsystématique sur tant de comportements et de conduites déraisonnables de l’Afrique, pendant ces cinquante ans d’indépendance. Et puisque rien de ce qui était inscrit à l’horizon des attentes des populations n’a été réalisé, puisque la décolonisation a livré le petit peuple des villes et des brousses à la cupidité d’une classe politique née d’elle, remonter aux causes d’une telle dérive, expliquer par exemple, afin d’y trouver remède, l’existence de cette dérive sans cesse grandissante qui sépare du gros de la population qui n’a dans sa besace que cinquante ans de frustration, une oligarchie politiquecynique et médiocre, enrichie par la rapine et la compromission avec l’ex-métropole.
Mais, si cyniquement incivique, cette oligarchie arrogante qui n’a que mépris pour le peuple auquel, pourtant, elle doit tout, cette oligarchie en aura-t-elle le courage et la sagesse? Il y a tout à craindre. Au contraire, que ce brave peuple qui attend d’être éclairé sur les vraies causes des causes des misères dont il avait longtemps attendu que l’indépendance le délivre, n’ait droit qu’à des discours de sophiste qui maquilleront la vérité, en attendu que l’indépendance le délivre, n’ait droit qu’à des discours de sophiste qui maquilleront la vérité, en montrant du doigt les coupables tout désignés: le néocolonialisme ou le comportement peu démocratique de tel ou tel régime antérieur! Les vrais coupables se présentant, chacun vêtu de lin blanc et de candide innocence.

mardi 18 mai 2010

Les formes de notre liturgie sont le reflet de la qualité de notre foi

Je suis tenté de juger le niveau et la qualité de la foi des fidèles d’une communauté, par la qualité formelle de ses rites de célébration, tout autant par l’ambiance et le climat qu’ils créent. A perception fruste, utilitaire et fétichiste du sacré, liturgie impressionniste et bruyante, peu soucieuse de cette retenue que, d’instinct, à condition d’y avoir été préparé, nous impose le contact authentique avec l’éclair du divin. A vision noble et adulte du sacré, liturgie travaillée, destinée, non à nous rendre propices des forces cachées menaçantes, mais à orienter vers le mystère d’un Dieu aimant, l’humble créature dont Thomas d’Aquin ne trouvait pas de mots pour dire l’insignifiance. J’étais allé au catéchisme, encore enfant, aux temps heureux où l’enseignement des choses de Dieu insistait sur le tragique de la condition humaine, mesuré sur l’incompréhensible décision d’un Dieu de s’incarner, afin de sauver l’homme. Je grandis ainsi avec le sentiment tragique de l’existence et que Dieu, c’est sérieux. Ce Dieu dont, en classe de 5ème déjà, des vers de Victor Hugo s’étaient chargés de me rappeler l’infinie majesté: «Ô Père qu’adore mon père/ Toi dont le nom terrible et doux / Fait courber le front de ma mère». Plus tard, en Europe, la hardiesse de l’architecture des cathédrales romanes et gothiques, symbole de la robustesse d’une foi prise dans son plus pur élan, vint structurer ce qu’au catéchisme, j’avais saisi d’intuition. C’est alors que je compris sur quoi repose la beauté austère de la liturgie de l’Eglise romaine. Celui qui a visité la cathédrale de Chartres, en France, et d’autres de la même stupéfiante beauté, en revient toujours avec la bouleversante émotion qui traverse la poésie de Charles Péguy, le pèlerin infatigable de Notre-Dame de Chartres. On se dit alors que seule la haute conception qu’ils se faisaient de Dieu et de son mystère avait inspiré aux architectes et au clergé la majesté de ces lieux de culte, et une telle pureté de leur rite liturgique.

Par comparaison, je suis conduit à m’expliquer,aujourd’hui, la mièvrerie, lapauvreté de la liturgie de l’Eglise africaine, où l’exubérance un peu niaise,l’indisciplinable pétulance est prise pour une composante essentielle de l’art, par le caractère puéril de la foi des chrétiens africains. Le Dieu de l’Evangile est, ce faisant, et inconsciemment ramené au rang d’une vulgaire divinité terrienne, le «mukisi», pour la célébration intéressée duquel nos ancêtres conçurent des rituels où l’émotion prend le pas sur la méditation; le corps sur l’esprit,sans retenue, conformes au profil de nos petites divinités locales, frustes, rustiques et grimaçantes. A de telles divinités anthropomorphes et étriquées, nos ancêtres, on peut le comprendre, n’étaient pas liés par ce qu’on peut appeler de la piété qui implique une relation fondée sur l’affection. Ces esprits de la terre, «mikissi», n’étant, après tout, que juste des forces mystérieuses, au fond dépourvues d’une véritable conscience, pas une providence donc qui se soucie du bonheur des humains.

Pour s’attirer leurs bienfaits, on ne leur adressait pas des prières. On mettait leurs forces mécaniques aveugles en mouvement, au moyen d’incantations magiques dont l’efficacité dépendait du respect scrupuleux, par les fidèles, des paroles rituelles. On ne peut parler, ici,de spiritualité; ou alors, elle est bien élémentaire. Bien des pasteurs et des fidèles de la chrétienté africaine en sont malheureusement restés là, prisonniers de traditions obscurantistes dont, par fidélité à l’Afrique de leurs ancêtres, ils se gardent bien de sortir. A se demander si ces prêtes, ces pasteurs et ces fidèles ont bien lu Mathieu dans l’évangile duquel le Christ bouscule les traditions, à ses yeux, redoutable obstacle à l’intelligence et à la mise en pratique de sa parole.
Article paru dans "La semaine africaine" du 19 mars 2010.

vendredi 14 mai 2010

Rigueur, le mot va sauver l'Europe.

Dans une civilisation que tout tend à décrire comme libérale il est de mauvais ton d'évoquer, à quelque niveau que ce soit, des notions symbolisant le contrôle, la retenue et surtout la rigueur. Ce dernier mot peu recommandable,en vogue en Europe du fait de l'Etat peu reluisant des finances publiques,on le retrouve pourtant à quasiment tous les niveaux de l'organisation sociale: la famille, l'école, le travail.

Que l'on soit parent, enseignant, cadre supérieur cadre moyen ou ouvrier, cette notion, sans l'employer, nous y avons recours très souvent. Elle intervient lorsqu'à nos enfants nous souhaitons inculquer une discipline et des valeurs, à nos élèves des méthodes, à nos collaborateurs une approche stricte de traitement de tâches ou de dossiers par exemple. Pour certaines professions le manque de rigueur est rédhibitoire, la rigueur y est donc "de rigueur": juriste, comptable. En dehors de ces professions qui seules me viennent à l'esprit, il me semble que cette qualité, à moins qu'il ne s'agisse désormais d'un défaut,est une exigence pour tous ceux qui usent de raisonnement et de prudence dans leurs activités. Ainsi un philosophe, un mathématicien, et même un historien parce qu'il manipule et met au jour des données qui éclairent notre passé et nous permettent de comprendre le présent, doivent raisonner et opérer leurs choix avec la plus grande rigueur.

Le contraire de la rigueur, en ce qui concerne l'attitude et les moeurs surtout, c'est le relachement, la légèreté(cf. les moeurs relachées des sportifs et autres personnes s'adonnant facilement à des pratiques honteuses).Encore que là, rigueur ou pas, condamner ce genre de pratiques simplement parcequ'on est de moeurs plus retenues et plus austères serait faire preuve de moralisme dans un monde faisant l'apologie du nihilisme; seule la loi,manifestation de l'intérêt général, lorsqu'elle réprime de tels comportements, est autorisée à les sanctionner.

Bien au dessus de cette rigueur touchant des individualités, des singularités donc, il est une tout autre rigueur, affectant,elle, une société dans son ensemble. D'essence publique et économique, elle est destinée à corriger les relâchements budgétaires par des mesures correctives sévères et impopulaires. C'est de cette rigueur dont il est question en ce moment en Europe, notamment au sein de la zone Euro. L'actualité récente nous a montré une Grèce en grande difficulté, presqu'en faillite, sauvée par l'intervention de ses soeurs d'Europe et du FMI. Pour éviter aux autres membres de la zone Euro plus ou moins près de sombrer eux-aussi et surtout pour retrouver l'équilibre budgétaire recommandé par le Pacte de Stabilité européen, le recours à l'impopulaire et effrayante rigueur était le seul moyen trouvé par les dirigeants européens. L'Espagne, par exemple, a annoncé un renforcement du plan de rigueur mis en place au mois de janvier. Sont annoncés 15 milliards d'économies supplémentaires dans les dépenses publiques et une diminution de 5% du salaire des fonctionnaires à partir de juin. Ce coup de pédale supplémentaire serait le résultat des recommandations non seulement des partenaires Européens de l'Espagne, mais aussi de puissants ultra-européens...

En France où le déficit public devrait atteindre 8% du PIB en 2010, loin des 3% du Pacte de Stabilité européen, les mesures d'austérité annoncées par le Premier ministre François Fillon refusent d'être considérées comme un plan de rigueur, le mot y est mal vu, mais, malgré le douloureux effort de ne pas prononcer ce mot, les mesures annoncées sont d'une une forte ressemblance avec les mesures exigées par la rigueur budgétaire. Tout le monde, des syndicats à l'opposition, voit dans ces mesures des caractéristiques d'un plan de rigueur: gel des dépenses de l'Etat, effort de productivité demandé aux opérateurs publics, réduction des niches fiscales et sociales. Seul le gouvernement définit différamment la rigueurr: "La rigueur, c'est quand on réduit les dépenses et qu'on augmente les impôts".

Cunctator.

jeudi 6 mai 2010

Grèce: quand le FMI prête aux riches

Entrée dans la zone Euro grâce à une falsification de ses comptes la Grèce déja bien affaiblie du point de vue économique a été assomée par la crise. Elle est au bord de la banqueroute. Pour pouvoir la sauver un important plan de d'aide de 110 milliards d'Euros impliquant le FMI (30 milliards) et les Etats membres de l'Union Européenne (80 milliards) a été arrêté le 2 mai 2010. Inédite dans la zone Euro l'aide du FMI, peu sûre il ya quelques mois, indignait les officiels européens; ils voyaient une aberration en cette intervention probable. Sans doute l'intervention du FMI leur rappelait les pays du Sud, notamment les pays Africains, souvent très pauvres ou incapables de gestion sérieuse des finances publiques, obligés, tels des mendiants, de tendre la main à cette généreuse institution pour leur éviter les conséquences sévères de l'assèchement des finances publiques. Pour nous aussi gens du Sud, habitués à voir le FMI jouer les pompiers et essayer d'éteindre les incendies provoqués par l'état catastrophique des finances de nos pays en voie de développement, dont certains sont depuis devenus "émergents", il était impensable que le FMI intervienne un jour dans l'une des zones les mieux loties du globe. La crise ayant durement frappé certains pays d'Europe hier encore à l'Est, la nécessaire intervention du FMI dans ces pays semblait aller de soi. Il s'agissait de pays nouvellement entrés dans l'Union Européenne ou souhaitant y adhérer: Hongrie, Roumanie, Ukraine. Des pays ayant un retard à rattraper sur leurs voisins européens, donc relativement pauvres. Pour les européens plus à l'ouest, il fallait à tout prix éviter la honte que causerait l'intervention d'une institution depuis des décennies dévolues aux pays les plus mal-en- point de la planète. La pauvreté, on le sait est une maladie honteuse, surtout pour un pays faisant partie d'une zone privilégiée. Gare à qui l'attrape!.

L'intervention prévisible du FMI en Grèce aurait pu être évitée avec une intervention rapide des pays européens et sans les tergiversations de l'Allemagne au sujet d'une aide des capitales européennes. Le traité constitutif de l'Union Européenne ne prévoyant ni de mécanisme d'aide entre Etats membres ni de possibilité d'aide de la Banque Centrale Européenne, il est compréhensible que les discussions aient duré un moment. Entre le respect orthodoxe de la norme européenne et le sauvetage d'un voisin en grande difficulté qu'est ce qui devrait l'emporter? Dur pour la construction européenne, que peut-elle faire sans solidarité. Que des pays européens ne respectent pas le pourcentage de leur PIB devant être consacré à l'aide publique au développement (0,7%), c'est justifiable: non seulement elle a jusqu'ici été peu utile aux populations qu'elles est sensée faire évoluer, mais encore il s'agit de populations éloignées, que peu humaniste on néglige facilement. Cependant, comme s'interroge Marianne, Athènes, ce n'est pas en Afrique. Il est admissible qu'on ait la main hésitante et lourde quant à faire l'aumone à une personne peu ou pas proche de nous, mais la solidarité envers ses proches devrait être un devoir à accomplir dans la limite du possible, surtout quand le mal touchant ce proche est susceptible, si rien n'est fait de nous atteindre aussi.
Aujourd'hui, l'Europe, grâce à la Grèce, va vivre l'expérience des pays du tiers monde recourant aux aide du FMI; eux qui, comme de grands enfants, ont du mal à régler seuls leurs problèmes. Voila qui rajoute à la honte de l'Europe qui, en de multiples occasions porteuse d'aide et de secours souvent intéressés (les prêts accordés sont soumis à des intérêts qui allourdissent davantage le service de la dette), se voit dans la situation embarrassante du demandeur. Lorsqu'on rejette la prudence comme principe de gestion et de direction on se retrouve facilement dans des situations qu'on envie pas aux autres.

Cette aide financière, dont le but est en principe d'aider un pays à retrouver des finances publiques plus saines, contribue souvent à l'enfoncer davantage car elle est assortie de conditions difficiles. Par le biais de programmes d'ajustement structurel drastiques (PAS), le PARESO congolais lancé en 1994 en est un exemple, des réformes sévères sont imposées aux pays afin de rendre les finances publiques rentables. Il s'agit de compresser les dépenses et d'augmenter les recettes de l'Etat. Cela implique, au niveau de la réduction des dépenses, des réductions de la masse salariale de la fonction publique, des réductions des dépenses de fonctionnement (éducation, santé, culture...), des réductions des investissements, des subventions; et au niveau de l'augmentation des recettes, un alourdissement de la fiscalité, l'orientation de la production à l'exportation, la privatisation des secteurs rentables de l'économie (énergie, transports, télécommunications). La Grèce va ainsi subir conséquences sociales de ces programmes d'ajustement d'inspiration néolibérale: paupérisation, déclassement des catégories intermédiaires, recession ou stagnation du fait de la baisse des investissments et du chômage qu'elle provoque nécessairement. Même pauvres et endettés, certains pays d'Afrique fuient désormais cette aide comme la peste, lui préférant les aides bilatérales moins contraignantes comme celle de la Chine ou du Brésil.
Cunctator.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.