lundi 18 octobre 2010

J'ai écouté Likelemba, le nouvel album de Reddy Amisi

Rarement, chers amis, je vous propose des lignes sur la musique, je veux dire sur un album précis. Ce n’est pas faute d’aimer la musique. Seulement, peu de choses dans ce domaine, dans la musique congolaise surtout, m’ont remué ces derniers jours. Des choses me plaisent çà et là qui concernent cette musique sans pareil pour susciter l’envie de faire bombance: le Ndombolo. Ça ne va pas plus loin. Les pas de danse qu’il inspire, bien qu’ils nous fassent adopter des postures grotesques, ne cessent de nous séduire, tant ils sont une sorte de farce, une sorte de rite de distanciation de nos vies pas toujours drôles au moyen de figures que dans des circonstances différentes nous trouverions stupides et grossières. Hors des pistes de danse, temple du Ndombolo, rares sont, je le répète, les œuvres qui m’ont conquis comme l’a fait Likelemba, le nouvel album de Reddy Amisi. De cet albumde dix titres offrant des rumbas de salon agrémentées de quelques « sebene », on se régalera surtout de « Likelemba, » le titre éponyme de album, où Bayilo, expert en avis et conseils sur la prudence, conseille de disposer avec intelligence de l’argent que nous gagnons. « Lisese ya maman », « Ma Geko », « Matsuda Mandangi » et les autres, reprenant les thèmes favoris de Reddy, sont le fruit de la volonté de rester soi de ce styliste du chant, qui nous fait là un très beau cadeau. Le travail sur l’instrumentation, marque d’une maturité acquise à coût d’efforts qu'on imagine incessants, est remarquable. Les choix de l’artiste ont porté sur une instrumentation allégée, dépouillée de bruits peu utiles. Je vous assure dans cet univers où un style, du fait de son succès commercial, s’impose rapidement en standard, maintenir sa marque propre est preuve de grand courage. C’est l’artiste, il s’exprime à travers sa sensibilité propre. Les héroïnes de cet album ce sont sans doute ces belles guitares qui ,s’exprimant telle une fontaine projetant avec harmonie des jets d’eau, procurent un ornement raffiné au jardin riche en douces couleurs qu’est le chant de Reddy. Moins puissant que celui des premiers albums, il demeure néanmoins perché dans ses hauteurs, tel un oiseau royal surplombant par sa classe ce à quoi tant d’autres artistes congolais nous ont habitués depuis plus d’une décennie. Cela va de soi, Likelemba ne manquera pas de séduire les nostalgiques des grandes performances. Des percussions à la rythmique, tout, alors tout, est bien travaillé. La musique est en jubilation, cet album la laisse vraiment s’exprimer. Ceux qui savent écouter pourront l’entendre, sans l’aide de la voie, nous conter sa propre histoire. Nostalgique à la façon de la grande Rumba congolaise, on y trouve la tonalité particulière de Viva La Musica, propre à plaire aux « yankés » et à tous les adeptes de l’ « effo perso ». Diffusant une douceur apaisante et suscitant de l’espoir, Likelemba, comme certains plats mettent le palais en fête, est un vif plaisir pour les oreilles. Aux confins de la Rumba de nos papas et de celle de cette génération, il plaira à un public varié.

Cunctator.

mardi 12 octobre 2010

Le siècle du crétin ou la mort annoncée de l’esprit


Dans la civilisation qui après Socrate a vu naître Érasme, Montaigne, Descartes, Kant, Shakespeare, Goethe et Victor Hugo, annonciateurs de la grandeur et de l’autonomie du sujet, digne quant à sa capacité à raisonner, tout aujourd’hui, semble comploter contre cet être magnifique afin de le précipiter dans une humanité tristement insignifiante et banale. L’occident en effet, avait depuis sa Renaissance humaniste souhaité conquérir l’idéal de grandeur humaine en se cultivant et en développant les facultés qui font la qualité d’homme. Avec les Lumières surgissent l’autonomie de la raison et l’émergence de l’individu. Se sachant autonome, libéré de toute tutelle, tout était devenu possible pour l’homme, mais la bêtise lui demeurait cependant attachée. La vigilance et la critique, veilleurs de premiers ordre, mais depuis mis à l’écart, n’avaient pu empêcher la production massive du crétin.

Si le combat intellectuel du XXe siècle était de lutter contre le communisme et le totalitarisme, celui du XXIe siècle sera de redynamiser l’homme, de le libérer ─ d’essayer du moins ─ de l’asservissement dans lequel le marché le tient. La menace communiste, maintenant constamment en éveil l’esprit occidental déjà atteint par les vices de l’hypermodernité, en disparaissant ratatinait la réflexion sur la vocation de l’homme dans la société démocratique désormais privée d’un adversaire dont les défauts et travers faisaient le foin. Mais« Un péril écarté n’est pas un progrès assuré » affirmait Pascal Bruckner devant l’attitude étrange de l’occident victorieux. A l’ abri de l’adversité qui fait jaillir les plus grands trésors et les meilleurs ressors de notre condition, l’homme hypermoderne empêtré dans une abondance excessive ressemble à une oie gavée qui se meut avec difficulté. Cette quasi immobilité est aisément remarquable au niveau de l’esprit. La consommation excessive exigeant des individus sans repères, sans attache (ancrage intellectuel ou spirituel) se veut l’ennemie de la réflexion. Elle a réussi à troquer les anciennes idoles contre la télévision, les sportifs et les stars, monde caractérisé par le fugace et l’éphémère, incitant peu à la réflexion qui est patience et ressassement. Il s’agit, à l’ère de la consommation oiseuse, d’être toujours à la page, d’être branché. Ainsi est le consommateur, dressé, conditionné pour acquérir toujours davantage d’objets, très souvent inutiles, car remplaçant simplement d’autres objets répondant au même besoin, mais dont un nouvel habillage ou une légère modification fait penser qu’il constitue une innovation.

Cet univers où tout est forcément beau, dans lequel la télévision contribue à généraliser la confusion entre l’imaginaire et le réel, tend à devenir le monde féerique auquel croient beaucoup de grands naïfs pour qui le moindre souci où la découverte que la réalité est éloignée du «pays des merveilles » tourne au drame.

L’homme doit être allégé, son bagage culturel et intellectuel comptent peu et le desservent même. Autrefois voués aux quolibets, aux sarcasmes, murés dans un silence qui empêchaient de révéler leur bêtise, les cancres et autres crétins sont aujourd’hui les personnes célébrées. Leurs propos et leurs avis sont même recherchés. Mettez-vous sur les radios et les chaines de télévision les plus en vogue, vous ne serez pas déçus si vous voulez les voir ou les entendre. Les premiers de la classe, les intellos et tous les amis du savoir, fût-il gai ou austère, avec leur style peu attractif et leurs propos abscons rasent les murs. L’hyper modernité est mal à l’aise avec toute personne incarnant une élévation éthique ou intellectuelle. Comme un miroir cette personne renvoie au crétin l’image de son indigence en fait de culture ou de morale.


Alors que certaines époques nous ont montré un homme occidental souhaitant être raffiné, élégant et courtois, un gentleman, un honnête homme, c’est-à-dire un homme qui manifeste politesse, discrétion, classe, rigueur des mœurs (ne fût-ce qu’en apparences), le crétin n’a cure de faire preuve de ces antiquités, il s’en fout, ce sont d’ailleurs des défauts de nos jours. Aussi chez le crétin le superficiel l’emporte-t-il sur le profond, la démagogie sur la réflexion, la frivolité sur le sérieux, la plaisanterie sur le grave, la grossièreté sur la bienséance.

Personne creuse, le crétin est un être vide. Cette vacuité qui n’est pourtant pas sa véritable nature lui est imposée pour qu’il la comble en s’entourant toujours et toujours de gadgets qui eux aussi ne peuvent le nourrir. Un contenant plein ou presque ne pouvant recevoir plus de contenu, le crétin doit être maintenu dans sa vacuité pour sans cesse le gaver de consommables dépourvus de vertu vitalisantes. C’est pourquoi c’est un homme insatisfait. Rétif à une certaine idée de la culture, il s’en réclamera pourtant si elle devenait un « must ». Les objets de culture tolérés par cette nouvelle engeance sont ceux auxquels leur succès commercial confère le statut de grande œuvre. Avec la raison disparait la faculté de juger facilitant la hasardeuse appréciation d’une œuvre. Mais pourquoi donc s’encombrer d’une telle faculté ? N’est-elle pas valablement remplacée par le « buzz » ? Une œuvre est en vogue ? Elle est forcément de bonne et de grande facture ! C’est là peut-être un trait positif du siècle des crétins : sa capacité à susciter les vocations : une de mes amies dont les centres d’intérêt étaient fort éloignés de la lecture avait réussi l’exploit d’achever le volumineux « best-seller » de Dan Brown, « Da Vinci code ». Les imbéciles aussi changent, c’est une évidence !

Vivant dabs une époque qui lui donne la capacité de convoquer le monde dans son salon ou dans son bureau grâce aux stupéfiantes évolutions des technologies de l’information et des communications, le crétin se croit proche de cette humanité qu’il touche virtuellement. Cette proximité avec l’autre éloigné et l’ailleurs il la zappe si facilement qu’elle n’a d’effectivité que le temps qu’elle apparait sur les images. Lorsqu’il se trouve dans un pays étranger où il est sensé se nourrir de la différence qu’il y rencontre, notre homme préférant les plaisirs à l’augmentation de son humanité, se contentera de loisirs simplistes et innocents pour certains, tandis que d’autres s’adonneront à des pratiques honteuses pourtant récusées par la loi érigée en unique règle normative. La morale compte pour du beurre dans une société relativiste et permissive.

Chose étonnante et paradoxale, cet individu qui revendique avec force la liberté de ses choix remarque si peu sa condition de dominé. Les choix qu’il croit les siens lui sont dictés par la publicité et le génie des créateurs de tendances. On lui fait croire à une autonomie qu’il n’a plus les moyens d’assumer. Etre soi-même exige plus de force et de tempérament qu’on ne l’imagine. Maurice Clavel appelait un tel individu l’aliéné; « l’aliéné, disait-il, c’est celui qui se croit libre dans ses désirs, ses besoins, ses achats, ses opinions, ses pensées intimes, sa culture, et qui ne l’est pas, car les conditionnements psychiques – techniquement produits, consciemment secrétés par le capital, pour le maintien de sa puissance et l’expansion de ses débouchés – le déterminent tout entier à son insu. On se croit libre entre telle ou telle option morale, et on ne l’est pas plus – ou ni plus ni moins – qu’entre telle ou telles marques concurrentes lessive que le même trust fabrique, vous suggérant ainsi, par le pire des conditionnements, le sentiment de la liberté lui-même »

Malgré tout ce qui vient d’être dit, il faudrait quand même que les esprits dérangés et nostalgiques d’une humanité passée de mode se le tiennent pour dit : celui qu’ils nomment crétin, que d’autres comme eux désignent par d’autres adjectifs peu valorisants, est le modèle triomphant de l’humanité de ce siècle que le poète trouve « poisseux ». C’est plutôt eux qu’ils faudrait encrétiner, enniaiser ; comment trouver à redire aux façons de cet homme parvenu à un niveau si élevé de sa condition.

Cunctator.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.