mercredi 25 novembre 2009

L'élégance des sapeurs

« L’art d’être un homme », tel est le titre d’une exposition qui a lieu en ce moment au Musée Dapper à Paris. Une partie de cette exposition, consacrée à deux photographes, a pour sujet l’univers de la Sape et des sapeurs. Une chose retient l’attention lorsque l’on regarde ces photos, le contraste entre la mise impeccable de ces sapeurs et les endroits où sont prises ces photographies. Des personnes vêtues de façon très chic posant dans un environnement dont l’épithète qui vient la premiere à l’esprit pour le qualifier est misérable. Ce contraste qui ne manque pas d’interpeler et de choquer donne à réfléchir, à s‘interroger. Qu’est ce que le photographe a voulu exprimer par ces images, ou plutôt, puisque c’est en principe de sapeurs dont il s’agit, que veulent-ils exprimer en s’habillant de la sorte dans un tel environnement où rien qu’à le regarder, on devine qu’on y manque de tout ou presque. Nous y reviendrons.


Les sapeurs dont tout le monde convient à dire qu’il s’agit d’une création congolaise font partie du paysage social congolais (RDC et Congo-Brazzaville) depuis plus de deux décennies avec une recrudescence du mouvement ces dernières années due à l’exploitation commerciale de ce mouvement, principalement par l’industrie audiovisuelle. La sape est même en train de devenir, de façon subreptice, un trait culturel par lequel les congolais sont identifiables. Ils se sont faits, en Afrique comme en Europe, champions en fait de bonne mise et de prestance quant au vêtement. La SAPE est même une religion, la religion du tissu, avec ses tabous ses interdits, ses prêtres et théologiens. Comme dans toutes les grandes religions dont l’histoire des hommes nous donne à observer le cours, la SAPE connait ses divisions et schismes. Si certains sont partisans inconditionnels de l’habit classique (Brazzaville), d’autres sont adeptes d’une ligne plus détendue et imaginative, rehaussée par le prix élevé des pièces (Kinshasa). Quelque soit la tendance, l’obédience ou la secte à la quelle il appartient, tout sapeur se réclame de l’élégance. L’acronyme de leur mouvement ne se termine-t-il pas par « Elégantes », épithète parente, du fait de l’appartenance à un même champ sémantique, du substantif élégance.


Mais en quoi donc consiste cette élégance nouvelle, minimaliste qui ne se contente que de soigner sa tenue, encore que là aussi des choses sont à revoir, sans polir sa personne, de telle sorte qu’on ait un sapeur non seulement bien vêtu, mais aussi d’un commerce agréable à quiconque. C’est cela aussi l’élégance. Est en effet élégant celui qui aura su polir sa personne afin qu’elle plaise quelque soit la circonstance, quelque soit l’endroit. Outre le vêtement qui doit nécessairement être bien mis, l’élégance est question de finesse, de mesure, de civilité et surtout de goût. L’élégance concerne alors de ce point vue, le domaine de l’esprit, qui pour cela doit se manifester avec grâce, grâce qui se répandra sur l’ensemble de la personne de sa tenue et de son allure. C’est ainsi qu’il nous arrive d’entendre dire « une âme élégante ». Cette personne sera charmante aussi bien dans la conversation que dans ses manières. Un esprit dont les pratiques et habitudes tendent vers tout ce qui contribue à nous apprendre notre métier d’homme, rendant l’âme belle, bien disposée, délicate et agréable sera d’une élégance plus riche que celle ténue et pâle du sapeur.

La personne élégante, sapeur ou quiconque, procure par sa présence simple, tel un ornement, de l’agrément au lieu où elle se trouve. Si les sapeurs étaient des personnes élégantes, les joutes verbales et gestuelles auxquelles donnent lieu leurs rencontres, c’est certain, donneraient des tirades mémorables tant ils se défendraient, grâce à une langue gracieuse elle aussi, de façon non seulement brillante mais combien belle et touchante. Rien que pour cela il serait souhaitable que nous ayons à voir un jour un griot aux paroles sucrées et fleuries dans la peau d’un sapeur. Qu’elle s’exprime en Lari, Lingala, Français ou autre, la langue de la personne élégante ne doit pas demeurer en reste.

L’élégance est donc contraire à la barbarie, à la grossièreté, à cette rudesse de manières qu’il n’est pas rare d’observer dans les vidéos et documentaires dont le sujet est la SAPE telle qu’entendue aujourd’hui ; elle se manifeste d’emblée sans le secours de l’ostentation vulgaire et de discours remplis de soi même dont usent les sapeurs pour se présenter.
Pas besoin de revenir sur la notion de gout, mais reconnaissons que mettre des costumes dont les couleurs répugnent les clowns et saltimbanques eux-mêmes, c’est cruellement en manquer.
Une personne dépourvue de charmes particuliers quant au physique, et cependant dotée d’une âme lui conférant des manières nobles et galantes, ne manquera de séduire tous ceux épris de bonnes manières et de propos agréables. Le soin de l’être devant en principe passer avant celui du paraître, l’élégance devrait ainsi d’abord habiter la personne avant de rejaillir sur son aspect extérieur. C’est le contraire chez nos élégants adeptes de la SAPE. Cependant loin d’insinuer que tous les sapeurs sont des rustres et perroquets autant en ce qui concerne leurs paroles inarticulées en terme de logique que leur gout pour le bigarré et le flashy, il y’a des sapeurs sincèrement et légitimement élégants. Que ceux-là veuillent bien excuser notre propos à l’égard de leurs confrères et ne pas se sentir concernés par nos observations.


Est-ce la faute à nos élégants sapeurs si les instances dont la mission est de travailler à l’avènement d’une société d’Hommes, une société basée sur les valeurs authentiquement humaines que l’on retrouvait dans le « kimuntu » de nos ancêtres qui s’articuleraient alors à la SAPE, font tout le contraire en faisant la promotion de valeurs négatives ? En instrumentalisant les sapeurs érigés depuis en corporation, et en désignant, ça s’est vu, comme président des sapeurs une personne occupant de hautes fonctions administratives, ils contribuent à donner des congolais une image de plaisantins patentés.


Pour revenir aux interrogations suscitées par les photos des sapeurs vues à l’exposition et par la SAPE tout court (que veulent exprimer les sapeurs par leur façon de se vêtir, par leur allure, par leur jeu et toute cette ostentation, la sape est-elle une contre culture, est-elle soutendue par une idéologie ?), n’ayant discuté avec un prêtre de la sape dont les propos auraient pu être repris ici, il va falloir se contenter d’une analyse de ce que nous donne à voir les sapeurs et le contexte dans lequel ils évoluent.
Dans le contexte européen la sape a tout d’une culture marginale qui revendique une certaine appartenance. Elle reprend à son compte le style vestimentaire de l’élite occidentale et lui applique ses propres codes et sa propre logique. Les sapeurs ont contribué à démocratiser l’élégance masculine en la faisant descendre dans la classe populaire que constituent les sapeurs (immigrés Noirs, le plus souvent ouvriers). L'élégance masculine occidentale avec eux perd de son séreiux pour devenir un jeux. On se joue du vêtement que l'on démystifie, qu'on apprivoise pour en faire un copain avec lequel on s'entend bien. Autant on peut respecter les codes et les règles que s'en détacher pour apporter une touche fantaisiste qui ne manque pas de faire joli. Les façons raides et guindées de la bourgeoisie, ses apparences de politesse et de courtoisie ne sont pas de mise chez eux. Le vêtement du sapeur est un appendice de son corps, il est donc très à l’aise avec. Même dans ces vêtements que la bienseillance recommande de ne porter qu’en adoptant un air grave pour cause de solennité, le sapeur lui est libre, il a paré son corps, le reste ne compte pas. C’est un libérateur, un provocateur iconoclaste. Ses beaux et chers vêtements il les met quand il souhaite, même à contretemps ; l’importance c’est d’être bien sapé. Le sapeur est un maître d’une gestuelle réinventée du vêtement, c’est tout un spectacle que de les regarder. Ceux qui ont l’âme un peu folle s’en délecteraient.
Au Congo la sape est liée au contexte sociologique de Brazzaville, la capitale. De son fief Bakongo, elle semble revendiquer un pouvoir qu’elle n’a pas dans d’autres sphères. Les sapeurs sont les rois incontestables de l’esthétique vestimentaire, même si quelques hérétiques, qui ne manqueront pas d’être corrigés, par leur bizarrerie exagérée s’écartent de la tradition. Leur autorité leur sera difficilement enlevée, ils sont rois, princes, grands chefs, grands prêtres. Leur autorité est légitime, aucun sapeur ne peut s’arroger un titre s’il n’a à le gagner loyalement ou à le défendre. A la différence des politiques aux discours creux, qui depuis comptent des adeptes de la religion du tissu dans leurs rangs, les sapeurs, grandes gueules impénitentes et soldats acharnés lorsqu’il s’agit de défendre les couleurs de la SAPE, font suivre leurs promesses d’actes. Ils font penser à une île dans un océan de misère, de déchéance, d’injustice et de corruption et d’incurie.

Nos sapeurs ne sont peut-être pas entièrement des gentilhommes ou des gentlemen, mais eux au moins ont la décence de tenir à leur parole et de ne pas être violents. Ils font ce qu’ils disent en général, relèvent leurs défis. Est-ce là, au-delà du vêtement, leur supplément d’élégance.


Cunctator.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.