mercredi 6 mai 2009

Le retour des ethnies, retour sur un livre de Dominique Ngoie-Ngalla

Voici pour vous une note de lecture sur le livre "Congo-Brazzaville, le retour des ethnies:la violence identitaire" réedité et complété sous le titre "Le retour des ethnies, quel Etat pour l'Afrique".




Cette étude est celle d’un historien et d’un philosophe, c’est une réflexion sur la question de l’ethnie en Afrique contemporaine en se fondant sur l’exemple du Congo-Brazzaville, que l’auteur connaît bien puisqu’il est professeur à l’université de Brazzaville. C’est un livre courageux qui porte le regard là où la blessure fait mal.

Ngoïe-Ngalla nous offre une perspective historique et une réflexion sur l’émergence, ou le recyclage de l’ethnie dans nos sociétés modernes (il fera même une incursion sur les phénomènes ethniques en Occident européen). Il recadre à juste titre la construction ethnique figée par les colonisations, sans pour autant croire que l’histoire, fût-elle coloniale, expliquerait tout. Il montre en particulier comment, pour les Africains qui aimeraient bien en sortir », le repli sur l’ethnie, sur leur ethnie, est parfois une nécessité ou simple prudence pour la survie personnelle. Il montre la logique implacable du mécanisme ethnique dans les États « modernes » bricolés par les colonisateurs dépourvus parfois de logique endogène – « l’encombrant héritage assumé et accepté, le défi du destin » [p. 12] –, aux frontières poreuses traversant les grands groupes, soumis aux pressions du lobby ethnique [p. 36]. Il a raison d’insister sur la fluidité du fait, et pas seulement sur celle du concept : une ethnie est en constant remodelage, mais cette perspective historique ne lui fait pas sous-estimer cependant que cette ethnie, floue et modelable sur la durée – cette durée qui en faisait des ensembles plus ou moins harmonieux [p. 66] –, mène dans l’ici et maintenant de chaque époque de douloureuses et sanglantes batailles. Le problème ethnique et sa violence identitaire [p. 38] se posent aujourd’hui, souligne l’auteur, au besoin en falsifiant l’histoire [p. 14].

Un des mérites de ce travail est d’analyser finement les conflits et de montrer combien les situations les plus douces peuvent virer vers la violence sans frein [p. 68-70]: « Le fonds de l’âme ngala dont tout à l’heure nous admirions les heureuses dispositions à l’accueil de la différence, explose de temps en temps en des violences dévastatrices » [p. 69]. Ce livre est donc aussi un plaidoyer en faveur de la tolérance d’autrui, de ses normes et de ses coutumes, de sa différence. Car, conclut l’auteur [p. 70], « d’instinct, l’ethnie, espace restreint et clos de solidarités prioritaires, est intolérance et violence latente. Aucune n’échappe à cette triste observation d’évidence. Aussi, la tâche prioritaire de l’État consistera en la moralisation constante et permanente des ethnies qu’elle a le devoir de transformer en corps de citoyens. »

Un des développements les plus intéressants, car il sort strictement du cadre de l’Afrique centrale par la réflexion qu’il engage, est le lien entre le kimbangisme et le nationalisme koongo. Produit culturellement déterminé, la doctrine de Simon Kimbangu a en retour construit le nationalisme koongo, et son identité,même si aujourd’hui les développements de la religion qu’il a laissée tend à s’adapter à des contextes non strictement africains en devenant un mouvement messianique de l’ouverture [p. 48].

Un historien est toujours quelque part un géographe, l’auteur nous offre des cartes et des répartitions linguistiques et surtout, il effectue une fine analyse de la ville : « Non que la ville crée l’intolérance […] mais certainement, comme fait sociologique massif, l’intolérance ethnique dans notre pays est un produit de la ville » [p. 63]. Ngoïe Ngalla souligne bien à plusieurs reprises que si « la violence identitaire [est] venue de l’intolérance mutuelle de groupes ethniques opposés par leurs traditions et leurs cultures, les ethnies y recourent de façon massive… » Pour protéger des intérêts menacés. Et que ce phénomène est très différent des conflits historiquement connus où la logique des acteurs était d’ordre étatique même si les conséquences étaient également sanglantes.

Une autre analyse de l’ethnie est pertinemment maniée par l’auteur : il s’agit du concept du temps qui, pour l’ethnie, est cyclique, « c’est le cercle morose de l’éternel retour. Le changement toujours redouté (et pour cause) n’étant qu’apparence, ou n’affectant que l’ordre secondaire des choses » [p. 96]. On est loin de l’espace citoyen sans cesse s’élargissant et incluant l’autre, l’admettant, se mélangeant à lui et l’absorbant, partageant le temps et l’espace comme des biens communs: « L’ethnie ignore le sens du partage » [p. 77]. Car « l’ethnie protège de l’érosion de l’histoire et du souffle de l’Esprit ses acquis surévalués » [p. 98]. Mais puisque « l’homme ne naît pas démocrate, il le devient » [p. 98], l’auteur pointe le drame actuel de l’Africain, formé au doux et contraignant cocon du moule ethnique qui ne peut se satisfaire totalement de ce citoyen abstrait que l’État moderne lui proposerait,il doit pourtant créer cette « alliance »,cette « complémentarité et coopération entre ethnie et démocratie » [p. 99].C’est donc ce défi que lance l’auteur à ses lecteurs: sortir de ce cauchemar actuel où « l’histoire africaine paraît avoir opté pour l’absurde et choisi de marcher à reculons, il faut craindre que l’Afrique des citoyens ne sorte jamais de l’ordre du fantasme et du rêve » [p. 5]. Selon ses propres termes, il veut « alerter l’opinion publique » et il faut souligner l’effort de lucidité, de cohérence et de brièveté auquel Dominique Ngoïe-Ngalla s’est astreint. Ce faisant il donne des raisons d’espérer.


Bernard Lacombe

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.