mercredi 10 décembre 2008

Les écrivains, la crise et la misère du monde

Habitués à ne porter attention qu’aux aspects les plus douillets de notre condition, nous cherchons à en oublier la misère, ce désarroi intrinsèque, celui dont nous devons nous libérer afin de devenir maîtres de nos dons et capacités, des Hommes.
Nous sommes désormais adeptes de l’avènement d’une réalité enchantée, féerique, que nous invoquons à coup de déclarations utopiques empreintes d’affect et d’émotivité pour les politiques ; et de publicité repoussant sans cesse les limites du possible pour les industriels. Même la littérature est frappée par ce phénomène, avatar de la modernité tardive.

Lorsque l’on braque le projecteur sur la partie la plus « humanisée », dit-on, de l’humanité, on constate qu’elle a oublié de nourrir l’Homme en elle pour s’adonner corps et âme à la poursuite rêves hédonistes, à l’euphorie et à l’économisme. Difficile de trouver ailleurs plus ingénieux en matière de réalisation de profits et plus au fait du réalisme économique. Dans certaines contrées de cette humanité d’avant-garde, certains yeux et certains sourires reflètent "le billet vert". Fini la capacité à s’émouvoir réellement pour les choses dépourvues de valeur lucrative ou non prometteuses de profits. L'émotion commandée par la surexposition médiatique des catastrophes humaines de tous genres n'est plus au rendez-vous, elles font partie de la normalité, nous y sommes habitués: des monceaux de cadavres aux enfants faméliques, victimes de la famine, tout y est. Les chaines de télévision et les magazines aux grands tirages nous disent de quoi il faut être ému. Tant-pis pour les victimes des événements tragiques non médiatisés, vos malheurs ne sont pas générateurs de "buzz".
Cette société est celle du modèle libéral débridé qui, depuis quelques décennies, règne sans partage sur le monde.

Lorsque le système fonctionnait, tout allait bien ; personne n’était à plaindre, même pas les pauvres, ces millions de personnes jetées à la misère : ils n’avaient qu’à être aussi habiles que les autres. Leur pauvreté était entendue comme le résultat de leur paresse ou de leur ignorance volontaire des canaux de l’enrichissement. C’était oublier que, selon l’idéologie dominante, le capital l’avait définitivement emporté sur le travail, sauf à compter les encouragements du fameux « travaillez plus pour gagner plus », slogan qui a compté de beaucoup dans le ralliement de la classe populaire au candidat du centre droit français aux élections présidentielles de 2007.
Travailler plus serait le souhait des abonnés aux contrats à temps partiel et autres contrats précaires. Travailler toujours plus lorsque les revenus du travail stagnent et que ceux du capital ne cessent de s'envoler, que les salariés s'enfoncent chaque jour un peu plus dans la pauvreté?

Avec le surgissement de la crise financière, cette bête féroce créée par les apprentis sorciers que sont les génies de la finance est sortie de sa cage. Tel le Minotaure, elle coûte beaucoup à la communauté tant elle fait des victimes ; elle a même déjà mangé quelques uns de ses créateurs.
Aveuglés par la promesse de gains toujours plus élevés, ces as de la finance naviguaient à vue, après avoir jeté tous les instruments de contrôle et de navigation, sur une eau aux multiples écueils et bancs de sables.
En sortant de sa cage ouverte par la crise des sub-primes, le monstre a tout fracassé. De grandes institutions y sont passées, des patrons ont été limogés, des salariés continuent d'être licenciés.

Autrefois moqué, négligé, hors jeu, promis à une mort prochaine par les acteurs du libéralisme dérégulateur, dont font partie les maîtres de la finance, nouveaux faux monnayeurs, l’Etat est tout de suite intervenu. C’est Thésée!
L’acteur gênant d’hier est nécessaire aujourd’hui. Cette intervention bien que nécessaire, s’est montrée plus prompte à secourir les pyromanes. Ne nous étonnons pas, les mêmes lui riront au nez une fois que ces naïfs bouffis d’orgueil financier et économique se jugeront à l’abri. La reconnaissance n’habite pas les gens peu habitués à la frugalité, l’abondance leur est naturelle. Ils n’ont ni la gratitude, ni la générosité du pauvre.

L’Etat n’a pas tendu la main aux victimes réelles de la crise : les pauvres et toutes les personnes situées à la lisière de la misère, Dieu sait qu’ils sont nombreux !
Déjà oubliés pendant que le bal de la finance se déroulait sans fausse note apparente, oubliés même par les écrivains, dont la mission, du fait de leur sensibilité et de leur aptitude à l’indignation, est de réagir à l’injuste. Faut-il réveiller ceux qui, tels Zola, Hugo et bien d’autres, s’étaient illustrés par l’exposition de cette difformité de l’humanité.
Lorsque la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme fête ses soixante ans, les droits qu’elle consacre à toute l’humanité sont loin d’être une réalité. Le combat reste à mener tant que demeurent des maux comme la famine ; oh la vilaine ! Elle a encore progressé (963 millions de personnes souffrent de la famine, soit 40 millions de plus qu’en 2007). Le droit à l’éducation, le droit au logement, le droit à mener une vie familiale normale, n’en parlons même pas : les revendications et manifestations de tout ordre au sujet de ces derniers sont assez éloquents. Quant à la protection contre l’arbitraire de la puissance publique, l’affaire "Libération" est encore récente pour nous rappeler que là aussi, même dans une grande démocratie, les choses ne sont pas au point. Vigilance et combat permanent sont nécessaires pour plus de dignité.

J’en rappelle donc aux écrivains, surtout ceux d’Afrique, afin que leur œuvre soit la voix des « damnés de la terre ». Ne laissons pas la littérature être gagnée par la logique de consommation. Elle oriente la production sur l’affect, le mièvre et le sensationnel.
Les écrivains sont des artistes, la logique industrielle en fait des artisans dont l’œuvre est dénuée de singularité et de charge symbolique. Ils se sont laissé prendre au jeu, leur oeuvre ne s'inscrit plus dans l'Histoire, c'est à dire dans l'immuabilité de la condition humaine.
L'insuccès crée de l'aigreur, nous dira-ton, mais il n'est pas question d'amertume ici, un simple étonnement devant les façons inouïes des écrivains d'aujourd'hui.

Dans ce monde, n’ayons pas peur des mots, et ne voyons pas là du pessimisme; dans ce monde où beaucoup de nos semblables vivent un cauchemar du fait d’un économisme créateur de misère sociale, on ne saurait se priver d’œuvres qui évoquent et dénoncent ce spectacle de mauvais goût . Les artistes sont ces fous du roi à la parole débridée ; leur âme porte naturellement vers les incohérences ou les beautés de l’humanité.
Point de mauvaise foi, reconnaissons qu'il est encore des auteurs aujourd'hui, qui se définissent par leur combat ou simplement par une proximité a ras le sol de la réalité. Hommage à eux.

Philippe Ngalla-Ngoie

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.