dimanche 21 septembre 2008

L’Ethnie dans l’Etat africain comme un vers dans un fruit

L’Etat africain (le primat accordé à l’économie et à ses problèmes a souvent masqué la cause du mal), ce ne sont pas comme en Asie et naturellement en Occident qui peut bien servir de référence, ce ne sont pas des populations hétéroclites par leurs origines culturelles, sur des siècles et des millénaires, patiemment rassemblées par une même histoire, pour former à terme un même peuple coulé dans un même moule culturel et idéologique dont les membres partagent une même vision du monde. Un bloc compact. Une conscience collective. Un inconscient collectif. Un sentiment d’appartenance fort. Une identité collective opposée à d’autres identités collectives. Un même esprit qui imprègne la pensée la plus haute, les gestes les plus simples de l’existence quotidienne de chaque individu. A l’inverse faute de mécanismes réels de régulation des particularismes, longtemps après les indépendances, l’Etat africain reste un conglomérat de communautés culturelles. Les membres de chacune d’elles ayant gardé, en dépit du broyage de leurs cultures par la colonisation, la conscience forte de leur appartenance groupale et l’instinct de groupe qui les place en rapports agonistiques instinctifs vis-à-vis des autres groupes. Des tensions sourdes ou ouvertes traversent forcément de tels Etats à configuration multiculturelle.


Une telle situation sociologique conflictuelle fut d’abord le fait des villes et des grandes agglomérations qui aspirent la majorité des populations de l’arrière-pays. Et comme la ville vit en osmose avec l’arrière-pays, l’image généralement négative qu’à la ville les individus venus des horizons culturels divers ont les uns des autres, est vite répercutée dans l’arrière-pays où elle renforce l’instinct tribal de rejet de l’autre différent. Pour harmoniser ces différences au sein de l’Etat et réduire les tensions entre les groupes qui le composent, comment faire ? Le régime de parti unique avait cru trouver la solution : inculquer à tous les mêmes valeurs, les mêmes pratiques. Le parti unique oubliait que la colonisation avait poursuivi les mêmes objectifs : assimiler les populations aliénées de leurs cultures, leur imposer celles du colonisateur. On sait le résultat. Ce fut un échec. Bien au contraire l’initiative coloniale renforça chez chacun la conscience de la singularité de son identité. Brimant les libertés et opprimant au moins autant que la colonisation, le parti unique échoua dans sa poursuite d’une âme collective, d’un peuple à façonner. Il suscita chez ses nombreuses victimes (à l’exception du groupe dont relevait le détenteur du pouvoir) l’amertume et la haine qui aboutirent à son rejet unanime dans toutes les conférences nationales souveraines auxquelles, sous diverses formes, presque toute l’Afrique eut recours pour se libérer des crocs du parti unique.


Restait donc à essayer de la démocratie appelée de tous leurs vœux par toutes les conférences nationales souveraines. En instaurant la démocratie on espérait enterrer définitivement l’ethnie et libérer le pouvoir confisqué par un groupe d’individus de même origine culturelle. Le pouvoir reviendrait au peuple souverain qui l’exercerait par l’intermédiaire de ses représentants. Or le peuple souverain qui transcende les groupes n’existait pas alors ni depuis. A la place, des peuples et des nations divisées par des intérêts de groupe, de surcroit mal instruits des droits et devoirs du citoyen. L’instauration de la démocratie ne transfigure donc pas d’un bloc, pour leur donner une âme et une conscience collectives, des gens et des groupes de gens opposés par leurs cultures et leurs trajectoires historiques. L’Etat, garant de la communauté des citoyens reste pour eux une belle abstraction dans laquelle personne ne se reconnait et aux principes de laquelle par conséquent personne ne veut obéir, justement parce que ils ne se retrouvent pas dans les principes de cet Etat qui ne sont pas ceux du groupe dont ils relèvent. L’Etat est si étranger à chacun d’eux que chacun peut le piller sans vergogne ni remord. Il n’est de patrimoine commun et donc vénérable que celui construit par ses ancêtres. Or, où sont dans les Etats africains les ancêtres communs sacralisés qui inspireraient la vénération de leur héritage ? Il n’y a pas entre les différents groupes composant l’Etat africain d’histoire commune, d’héritage commun. L’histoire commune commence avec la colonisation subie par tous. Cette histoire n’a pas eu une épaisseur suffisante pour secréter une consciente collective et des mythes fédérateurs de tous ceux qui l’ont vécue. L’Etat africain reste de ce fait un espace social où des communautés aux différences affirmées n’ont de liens entre elles que juridiques et abstraits. Il manque la charge affective qui soude. L’écart qui sépare les groupes s’est davantage creusé après les indépendances, quand commence la lutte pour le pouvoir que chaque groupe désirait ardemment s’adjuger pour l’honneur et le prestige, sans toujours savoir exactement ce qu’il en ferait. Dans ce contexte de confiscation du pouvoir, l’adversaire politique est vite perçu comme un ennemi à traiter comme tel. Ce qui a pour conséquence pour les vaincus et les exclus du pouvoir, une amère frustration et le repli identitaire avec la rumination de la défaite et la haine du détenteur du pouvoir et de son groupe, surtout que ce dernier ne se fait pas faute d’écraser les vaincus de son arrogance méprisante. Ainsi va la démocratie à l’Africaine (sauf dans de rares pays), bancale, loin de l’éthique de respect des principes arrêtés en commun. Parce, que justement, ces principes ne font partie de l’histoire et de la culture de l’Afrique.


Pour autant les africains qui savent les bienfaits relatifs de la démocratie en Occident où elle est devenue une dimension culturelle de ce pays, doivent-ils désespérer d’y arriver jamais ? Certes non. La démocratie qui est un travail, un cheminement, un processus, heurte certes la nature humaine que le principe de réalité toujours contrarie. Mais l’africain ne relève pas d’une humanité différente de celle de ceux-là qui se sont faits à ses exigences. Il n’y a donc pas de raison qu’à force de travail et de sérieux que l’Afrique n’y arrive. Encore faut-il qu’elle prenne conscience des tâches qui l’attendent, qu’elle prenne la mesure de ce qu’il lui faut de volonté et de constance dans l’effort pour murir à la modernité et cesser de donner dans le bricolage politique où elle semble se complaire.


L’appétit du pouvoir et la volonté de puissance qui causent tant de ravages dans les Etats africains où ils ne sont pas réglementés, sécrétant l’arbitraire et la tyrannie, sont universels, communs à l’humanité tout entière. On ne doit donc pas en faire une espèce de péché originel des africains contre lequel la meilleure éducation ne peut rien. Dignité, volonté de dignité, constance joyeuse dans l’effort, ce sont des vertus des gens de la terre. En Afrique comme dans le reste du monde. Leur abandon progressif dans les pays africains depuis quelques décennies s’explique aisément par le défaut de formation des populations à la conscience citoyenne par les partis politiques dont ce devrait être la tâche prioritaire. Or nous savons que la majorité des partis politiques africains ont pour socle le groupe ethnique. Il serait donc temps de décloisonner l’ethnie exorcisée de ses fausses peurs. Son idéologie tenace est à ranger parmi les vers qui rongent de l’intérieur l’Etat africain.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.