dimanche 15 juillet 2007

Les fondements historiques de l'étrange destin de l'Afrique noire

Lorsque, intellectuels ou politiques il nous arrive de réfléchir aux causes profondes des difficultés de l'Afrique noire à s'adapter aux mouvements de l'histoire, ses sociétés persistant,malgré tant de déclaration de bonnes intentions de ses dirigeants, à se comporter avec des mentalités d'un autre âge (tout en manifestant dans le même temps, de réelles aptitudes à comprendre et à faire usage des technologies modernes), il est rare que nous n'appelions pas tout de suite, d'un mouvement réflexe, la traite atlantique et la colonisation au banc des accusés. Une démarche au fond licite que chacun de nous comprend. Mais alors les responsables de nos malheurs une fois identifiés, nous devrions poursuivre la réflexion et nous demander pourquoi, lorsqu'il s'agit des savoirs et des technologies modernes, mis en condition, le Noir africain est de plein pied avec son siècle, et montre qu'il peut rivaliser avec l'occident dans certains domaines où celui-ci excelle, tout en se montrant inapte à gérer une société moderne. L'Etat par exemple dont la définition et les principes de fonctionnement sont copiés sur le modèle occidental, l'Etat reste pour lui une pure abstraction. Il a du mal a en intérioriser et à en vivre les règles et l'esprit. Ceux-ci lui restent étrangers. Sous l'inspiration de sa tradition et de sa culture, d'instinct le détenteur du pouvoir en fait une affaire personnelle, appropriée et protégée comme un patrimoine familial.

Comment alors comprendre un tel paradoxe? Tout le monde se souvient de la savoureuse boutade de cet homme: "l'africain a la tête dans le nucléaire et les pieds dans l'argile". Elle nous renvoie à la contradiction, dans ses comportements, de l'africain placé entre ces deux ordres de réalités opposées: le savoir et les technologies qu'il incarne d'une part, d'autre part le système de représentation et de pratiques, les catégories de pensée auxquelles celles-ci sont liées. C'est l'opposition du matériel (les savoirs et les techniques) et de l'idéel (les représentations du monde et leurs logiques). Si l'humanité progresse, on observe que ce n'est pas au même rythme, selon qu'on se trouve dans l'ordre du matériel ou dans celui du spirituel. Le progrès matériel est plus rapide que le progrès spirituel (l'esprit et la conscience). Et c'est le grand problème de l'Afrique, si attardée dans ses mentalités écrasées sous le poids trop lourd d'une histoire trop difficile dans laquelle l'avait enfermée un bien tragique destin.



Il appartient alors à l'historien de remonter aux causes de tant de déboires. La traite des Noirs? Oui. La colonisation? Oui encore. Et quoi d'autre, car la traite atlantique et la colonisation, horribles et tragiques certes, ne sont pour l'historien que les causes immédiates de faits qui probablement ne seraient même pas apparus, en tout cas avec une telle ampleur sans la cause lointaine dont la traite atlantique et la colonisation sont les conséquences directes. Il faudrait rappeler les conséquences néfastes sur l'histoire et le destin de l'Afrique, du facteur géographique et écologique. La configuration géographique et écologique du continent africain, voila semble-t-il, la cause lointaine principale du drame africain. L'Afrique est entourée par la mer, de sorte que, jusqu'au XVè siècle où l'Occident modernise son système de navigation, la barre rendit ses côtes inaccessibles. De sorte que, sauf en sa bordure méditérranéenne, l'Afrique restât totalement coupée du reste du monde, se privant de ce fait des contacts féconds avec les civilisations brillantes de l'Inde bhouddique, de la Mésopotamie et de l'Egypte pharaonique, plus tard ptolémaïque, romaine, arabe enfin. Le désert pour ces civilisations succésives resta un obstacle infranchissable. De toute façon l'eussent-elles franchi qu'elles ne seraient quand même pas allées plus loin. La forêt équatoriale avec ses mouches tsé-tsé les arrêtait net. Au Vè siècle avant notre ère, on se souvient, un phénicien, Hannon, se prit d'audace et, excellent matelot (il le tenait de sa race) s'embarqua avec une poignée de compagnons; et ayant doublé le détroit de Gibraltar, mit le cap sur le Sud. Il semble n'avoir jamais dépassé les eaux maritimes de la Guinée. La barre toujours.

Même au temps où il y'en eu de Noirs, (Narmer par exemple) les Pharaons échouèrent dans la recherche de solutions pour dépasser la Nubie voisine (le fameux pays de koush), et atteindre l'Afrique profonde. Celle-ci resta pour eux un mystère dont ils ne connurent que les Pygmées qu'ils firent venir à la cour pour la curiosité. Il faut relire à ce propos Hérodote qui s'était aventuré en Egypte au milieu du Vè siècle avant notre ère.

L'Afrique resta donc isolée jusqu'au milieu du XIXè siècle où elle s'ouvre enfin à l'audace de deux explorateurs anglais, Speck et Burton. Les Pharaons désiraient pourtant tant savoir! Ils durent se contenter de récits forcément déformés que leurs faisaient les nubiens sur l'Afrique profonde. C'est de cette façon, par nubiens interposés, qu'ils furent informés de l'existence de cette race de nains qu'Hérodote appellera Pygmées. En sens inverse les choses de l'Egypte pharaonique parviennent dans l'Afrique des sources et de l'au delà du Nil certes, mais parasitées par la trop grande distance et les trop nombreux relais (de bouche à oreille), à l'arrivée elles n'ont plus aucune consistance. Les héllènes à qui la proximité géographique avec l'Egypte profite viendront s'y abreuver directement, à la source. Pythagore, Platon et tant d'autres.

Si inventive fut-elle, mais privée du heurt correcteur avec l'expérience des mésopotamiens, alors en avance sur l'Egypte en bien des domaines et de plus loin, l'Inde, l'Afrique tourna en rond avec des recettes technologiques toujours les mêmes. On sait que le retour du même au même appauvrit forcément. Sur le plan politique, l'Afrique ce sera toujours le pays de la royauté divine (le pays des rois dieux, intouchables). L'éducation à la république et à la démocratie qui est comme le dit si joliment Paul Ricoeur, une aventure éthique, sans tradition, l'éducation à la démocratie sera longue et pénible en Afrique. Ouverte aux grecs et aux romains, ceux-ci l'y eussent initiée et probablement lui eussent évité la tragédie de la traite atlantique et arabe. Parce qu'en démocratie, fut-il son oncle maternel ou son père, aucun citoyen n'en vend un autre. Et sur le plan de la civilisation matérielle visible par laquelle on juge du degré de maturité d'une civilisation, parce qu'on y avait pas été initié, il n'y'aura pas en Afrique noire de ville avant la colonisation. Des villes de pierre. Car la polis où s'assemblent des libres citoyens n'est pas un tassement désordonné de huttes de paille et de torchis.
Mais comment autrement sans connaissances techniques en architecture où constamment est fait appel à la mathématique et à la physique. L'expérience de la muraille de Zimbabwe est difficile à expliquer en dehors de l'influence arabe. Elle resta d'ailleurs sans suite. Aux confins de l'ère culturelle arabo bèrbère, l'expérience de Tombouctou resta elle aussi sans suite faute d'une vulgarisation suffisante. Le petit peuple ayant été tenu à l'écart. Faute de villes qui organisent et encouragent les savoirs vulgarisés, l'Afrique n'aura pas de mathématiciens ni de philosophes capables, grâce à l'apprentissage des techniques et des règles du raisonnement logique, d'articuler un système de concepts en quoi on reconnait la philosophie qui est réflexion rigoureuse sur les problèmes de la société de son temps. On en resta donc à la sagesse terre à terre des proverbes sur le contenu desquels aucun discours critique ne revient jamais, le proverbe énonçant une vérité éternelle, indiscutable. Or, la critique et le débat contradictoire, voila, les racines du progrès dans l'ordre du matériel, comme dans l'ordre de l'idéel. Hors de là commence le royaume de l'obscurantisme et de l'idéologie justificatrice et mystificatrice. Le domaine où règnent les sorciers avares de leurs connaissances.

L'Afrique sera sauvée le jour où, dans le domaine du savoir et de la connaissance comme dans celui de la gestion des hommes, elle acceptera que s'instaurent l'expression libre des opinions et le débat contradictoire déja esquissés dans feue la palabre africaine enterrée sous nos démocraties bancales. Cloisonnée, il avait manqué à l'Afrique l'audace de Rome et d'Athènes.

dimanche 1 juillet 2007

Le sens et la signification du concept de renaissance pour un négro-africain

Renaissance doit s’entendre comme plongée dans le passé retrouvé pour nous sauver des périls du présent et pour nous mettre à l’abri de la menace du futur. Et on sait dans quel bien terrible bourbier se trouve l’Afrique contemporaine, et quelle menace de destruction plane sur elle. Ce ne sont donc ni les analyses, ni les projections des économistes qui la sauveront dans l’immédiat, si un retour lucide à son passé n’est effectué. Et non pas pour le plaisir léger d’un dépaysement ! La solution aux problèmes africains : politiques, économiques, culturels, viendra du recours à un certain nombre de valeurs de civilisation africaine authentiquement humaines retrouvées et vécues de façon courageuse. Nécessaires certes, la politique et l’économie ne suffisent cependant pas pour soulever cette vielle terre d’Afrique qui, derrière le néon et les palaces de ses villes, continue à vivre au néolithique. Les Romains disaient : quid leges sine moribus ? transposons : quid politica et oeconomica sine hominibus, que valent la politique et l’économie sans les hommes (pas n’importe lesquels). Seulement ceux-là qui sont capables de renaître aux valeurs africaines de culture. Pas n’importe lesquelles. Les valeurs authentiquement humaines façonnées au coin de l’universel.

Le regard fixé sur le futur, un pied dans le présent, l’autre dans le passé qui traverse le présent, telle est la posture du « renaissant ». Ce passé auquel il retourne n’est pas pour lui un refuge contre la morosité du présent. Stock précieux de l’expérience des générations, il lui sert seulement des points d’appui pour la conquête du futur que, présent éternel, le passé toujours entrevoit. En tout cas, c’est cela que l’occident en crise d’identité avait saisi dans les humanités gréco-romaines. Dans les moments de grand équilibre de la Grèce et de Rome, celles-ci peuvent bien apparaître comme une quête pathétique du sens de l’homme. L’effort émouvant d’une communauté culturelle pour connaître et déchiffrer le destin de l’homme posé comme valeur absolue, idéal supérieur à réaliser.

La découverte de Rome et de la Grèce antiques par l’occident enlisé dans la civilisation d’un Moyen-Age qui commençait à manquer de perspectives éclaira soudain ce qu’aux Lumières, et déjà sous Rabelais, on allait appeler les « ténèbres gothiques » que Rabelais dans sa langue particulière nomme «l’infélicité des Goths ». Pour l’Afrique noire dont le lien généalogique et historique avec les splendeurs de l’Egypte pharaonique est loin d’avoir la linéarité irréfutable qui rattache l’occident chrétien à la Rome de Caton l’Ancien, et à l’Athènes de Socrate et de Platon, de Thémistocle, de Périclès et de Thucydide, par delà l’Illiade et l’Odyssée d’Homère, renaissance voudra dire retour et recours, non à un passé de gloire souvent imaginaire (en dehors de l’Egypte, mais trop controversée comme production nègre pour être pour les Noirs un pôle d’identification qui incite à l’action). Mais retour et recours à ces valeurs de culture dont on devine l’authenticité et la grandeur humaine à travers les fragments que, parfois, par bonheur, il en reste après leur broyage par la traite négrière et la colonisation. Ce sont ces valeurs là qu’il va falloir que l’Afrique inventorie, et reconstitue (car il n’en reste que des fragments) pour, ensuite, une fois qu’elles auraient été coulées dans les manuels scolaires, les inculquer aux écoliers et aux étudiants des facultés. Travail de longue haleine, d’investigation patiente, prudente, historique autant qu’anthropologique, psychologique autant que sociologique. Jusqu’à ce que l’Afrique mutilée soit à nouveau rassemblée et s’approprie sa culture, et que la sève de celle-ci la libère de tant d’impedimenta (obstacles, pesanteurs) venus d’une histoire torturée et de traditions brouillées.

Par Dominique Ngoïe Ngalla et Philippe Cunctator qui nous livrent leurs réflexions sur le monde d'aujourd'hui : de l'Afrique clopinant sur le chemin de la modernité au reste du monde, de la complexité des enjeux politiques aux péripéties du fait religieux, nous découvrons sous la plume de Dominique l'âme du poète qui rêve d'un autre monde, mais n'oublie ni les brûlures de l'histoire ni la dure réalité du temps présent...

Quelques ouvrages de Dominique Ngoïe-Ngalla...





L'Evangile au coeur de l'Afrique des ethnies dans le temps court
; l'obstacle CU, Ed. Publibook, 2007 .




Route de nuit, roman. Ed. Publibook, 2006.




Aux confins du Ntotila, entre mythe, mémoire et histoire ; bakaa, Ed. Bajag-Méri, 2006.




Quel état pour l'Afrique, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Lettre d'un pygmée à un bantu, mise en scène en 1989 par Pierrette Dupoyet au Festival d'Avignon. IPN 1988, Ed. Bajag-Méri, 2003.




Combat pour une renaissance de l'Afrique nègre, Parole de Vivant Ed. Espaces Culturels, Paris, 2002.




Le retour des ethnies. La violence identitaire. Imp. Multiprint, Abidjan, 1999.




L'ombre de la nuit et Lettre à ma grand-mère, nouvelles, ATIMCO Combourg, 1994.




La geste de Ngoma, Mbima, 1982.




Lettre à un étudiant africain, Mbonda, 1980.




Nouveaux poèmes rustiques, Saint-Paul, 1979.




Nocturne, poésie, Saint-Paul, 1977.




Mandouanes, poésie, Saint-Paul, 1976.




L'enfance de Mpassi, récit, Atimco, 1972.




Poèmes rustiques, Atimco, 1971.